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Philologie d'Orient et d'Occident
27 novembre 2012

Qui a le dernier mot sur la question aïnou ? (3)

Philologie d'Orient et d'Occident (205)

                                       Le 27/11/2012, Tokyo     K.

Qui a le dernier mot sur la question aïnou ? (3)

 

sax_wada

                                      Saxophone, par Misao Wada


   Hattori Shirô (1908-1995), altaïste et éminent aïnologue, dont j'ai déjà fait état plusieurs fois dans mes billets, notamment 183 et 187, rédacteur en chef du Dictionnaire du dialecte aïnou (Tokyo, Iwanami-shoten, 1964) fut un grand absent du débat occidental faisant suite à la publication de la thèse indoeuropéenne de Pierre Naert (1958). Cette absence est, tout de même, quelque chose d'ahurissant. Le professeur Hattori n'en fit en effet aucun compte rendu ni critique, comme si la thèse n'existait pas. S'en fichait-il, comme d'un ouvrage d'un fou des langues ? De toute manière, la communauté scientifique européenne minimisait ou, tout simplement, ignorait les travaux linguistiques publiés ou en cours dans la langue japonaise.

   Eric P. Hamp, de l'université de Chicago, a émis, dans un congrès international de science d'anthropologie et d'ethnologie qui a eu lieu à Tokyo, dix ans après la publication de Naert, un avis sur la polémique soulevée par la thèse de la parenté linguistique de l'aïnou et l'indo-européen (Rapport du VIIIe Congrès International des sciences d'anthropologie et d'ethnologie, Tokyo 1968, vol. 3, p. 100-102, repris dans les dernières pages du 5e volume de la série 2 de la collection des documents aïnou dirigée par Kirsten Refsing: The Ainu Library, Tokyo, Synapse, 1998).

   «La bibliographie de l'auteur [Naert] est lacunaire. Il semble pratiquement n'être conscient de rien de réellement général sur l'aïnou depuis Batchelor (1901) [cf. billets 191, 194], excepté le non-linguiste Montandon (1937)(§6)[cf. billet 202]. Il ne tient aucun compte des travaux considérables accumulés par des savants japonais depuis le début des premières années 30. Il est vrai, cependant, que le travail le plus digne de confiance dans la dizaine d'années écoulées depuis l'ouvrage de Naert provient de la communauté scientifique japonaise; on ne devrait donc pas lui faire reproche de l'avantage que nous avons maintenant gagné. Il est opportun de reconnaître ici que, pour le peu de connaissance que j'ai de l'aïnou, j'ai largement bénéficié d'avis patients et de publications éclairées de Tamura Suzuko [cf. plusieurs billets dont le 176, tout particulièrement] et de Furukawa Kyoko (née Murasaki [cf. billet 196]); et, bien sûr, personne ne peut aujourd'hui se mettre à une étude sérieuse de l'aïnou sans se sentir lourdement endetté envers Hattori Shirô.» (traduit de l'anglais au français par K, auteur du billet).

   Le Dictionnaire Hattori, comme j'en ai fait mention dans le billet 187: Sakhaline, une autre patrie des Aïnou (2), répondait à deux problèmes: la précarité des informateurs et le faible nombre d'enquêtes menées dans les deux lieux du nord: Sakhaline et les îles Kouriles. L'enquête s'est effectuée au cours de la raréfaction rapide de vrais informateurs dans le territoire resserré par les conséquences de la Guerre du Pacifique. Sur 10 lieux aïnou, deux: Sakhaline et Kouriles étaient quasiment impossibles d'accès.

   Malgré ces difficultés, le dictionnaire Hattori, achevé, procure aux linguistes un outil de travail de la première qualité qui leur permet de procéder à une vraie étude historique d'une langue longtemps privée d'écriture. Si Naert avait eu vent des travaux de rédaction d'un dictionnaire en Extrême-Orient, dirigée par le professeur de phonétique de l'université de Tokyo, il aurait repensé sa méthodologie.

   Car, tout en réfutant Antoine Meillet qui écrivit: «la méthode comparative est la seule qui permette de faire l'histoire des langues» (La Situation linguistique de l'Aïnou et indoeuropéen, repris in The Ainu Library, op. cit., coll. 2, voL. 2, p. 38), il a osé dire: «on peut dégager bien des traits d'un état antérieur de l'aïnou par une étude purement interne de cette langue» (ibid.). Et il a comparé l'aïnou yukram «foie» avec le latin jecur et le grec ἥπαρ (billet 191), hitsuji «mouton» avec le latin pecus, pecudis (cf. billet 197), tout comme s'il était en droit de mettre sur le même plan dialectal, aïnou, latin et grec !

    Le groupe du professeur Hattori se gardait de rien dire de la thèse de Naert. À l'époque, l'éloignement de l'archipel nippon du lieu de polémique a permis de maintenir une indifférence qui, aujourd'hui, ne serait pas de mise. (À suivre)

 

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