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Philologie d'Orient et d'Occident
30 octobre 2012

Pierre Naert et Georges Dumézil (1)

Philologie d'Orient et d'Occident (201)

                                       Le 30/10/2012, Tokyo     K.

Pierre Naert et Georges Dumézil (1)

velo_wada

Bicyclette aux pétunias, par Misao Wada (cousu main)

 

    «L'explication de l'aïnou par l'indo-européen» de Pierre Naert (La Situation linguistique de l'aïnou, 1958) a d'abord donné lieu à des critiques assez civiles qui se sont vite dégradées en mêlées polémiques. J'en ai déjà fait état dans plusieurs de mes billets précédents dont, entre autres, ceux qui confrontaient Naert à Olof Gjerdman (cf. billets 188, 194) et à Olivier-Guy Tailleur (cf. billets 193, 199).

   Bertil Malmberg, professeur de linguistique moderne (phonéticien), lui-même très compréhensif envers la thèse indoeuropéenne de Naert, le cite plusieurs fois dans ses Nouvelles tendances de la linguistique (PUF, 1972, traduction française de: Nya vägar inom språkforskningen, Stockholm, 1962). Il faut noter que la date de publication de ce livre à une large diffusion tombait au moment fort de la polémique.

   On croirait, par le nombre de mentions (5 fois), que le professeur de phonétique faisait meilleur cas de Naert que de Dumézil (une fois) ou de Benveniste (2 fois). Naert montait dans l'estime de Malmberg jusqu'à la hauteur du grand Meillet (7 fois)! Malmberg se serait bien activé pour la promotion de Naert dans l'université de Lund. Je vous invite à lire une cinquantaine de pages suffisamment étonnantes de Mme Kirsten Refsing mises au début du recueil Origins of the Ainu Language (The Ainu library, Tokyo, Synapse, 1998, vol. 1). Leur lecture vous mettra au courant de quelques épisodes époustouflants relatant faveurs et hostilités autour d'un postulant français au professorat suédois.

   À la page 46 des Nouvelles Tendances de la linguistique, l'auteur fait l'éloge de Naert sans le nommer: Des tentatives ont également été faites pour prouver la parenté de la mystérieuse langue aïnou (en Extrême-Orient) avec nos langues indo-européennes, théorie hardie mais qui a reçu l'approbation de nombreux linguistes (Hjelmslev, Van Windekens, Bouda). D'autres se sont montrés sceptiques (Holmer, Benveniste).

   C'est seulement dans une petite note en bas de la page qu'il nomma Pierre Naert.

   Dans son oraison funèbre aux obsèques de Naert, Malmberg écrit (1972): La théorie de Pierre Naert sur la langue aïnou a provoqué un orage à l'intérieur du monde linguistique. Maintenant, presque quinze ans plus tard lorsque s'est apaisé l'enthousiasme initial ainsi que l'indignation, ce serait une occasion de nous interroger d'une façon plus sensible sur la validité scientifique de la théorie Aïnou. Comme défenseurs, nous avons vu quelques unes des autorités linguistiques les plus prestigieuses de notre temps: George [sic] Dumézil, Louis Hjelmslev et André Martinet. Parmi les opposants nous avons trouvé Émile Benveniste et Roman Jacobson [sic] et d'autres. Je ne parle pas ici des ergoteurs parmi les petits rivaux locaux, qui ne pouvaient ou ne voulaient rien comprendre. Ils seraient bientôt réduits au silence - contre le géant, si cette image convenait au profil physiquement et psychologiquement fragile de Pierre Naert. (traduction par K. de l'introduction en anglais de Kirsten Refsing dans le recueil Origins of the Ainu Language, vol 1, op. cit.)

   En 1962, Malmberg n'a pas nommé, comme défenseur de la théorie aïnou, Dumézil qu'il mentionnera dix ans plus tard. Il est bien probable qu'il s'agisse d'un lapsus ou d'une omission de Jacques Gengoux, traducteur de suédois en français, qui ne voulait pas, dix ans après, qu'on sût en France que ce grand chercheur avait été mêlé à une affaire peu glorieuse de parenté linguistique. La phrase ambiguë de Dumézil était en effet tournée de manière à être interprétée de deux façons.

   Naert, candidat à un professorat dans un milieu plutôt hostile qu'amical, avait droit de se sentir bien encouragé par Dumézil, qui daignait bel et bien souhaiter, à la fin de son compte rendu de la thèse indoeuropéenne, que «les savant et les institutions de qui dépend la continuation ou l'arrêt de cette entreprise courageuse, nécessaire et bien conduite, comprennent leur responsabilité» (Origins of the Ainu Language, vol. 3, op. cit.). Ainsi était expliquée la raison de son absence de réplique à un compte rendu susceptible de passer pour une sérieuse critique (cf. billet 192). (À suivre)

  

   

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