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Philologie d'Orient et d'Occident
4 septembre 2012

La thèse de Naert : critique de Dumézil et position de Van Windekens

Philologie d'Orient et d'Occident (193)

                                              Le 04/09/2012, Tokyo    K.

                 Thèse de Naert, critique de Dumézil

           et la position du comparatiste Van Windekens  

 

    «1° : l'aïnou fait [...] l'impression d'une langue qui a essayé de se créer un système du type indoeuropéen classique, mais n'y a pas réussi.» (La Situation linguistique de l'aïnou, Lund, C. W. K. Gleerup, 1958, § 565, p. 219).

   «2° : [et tout de suite après la première déclaration, au dernier chapitre de son livre] :

   nous concluons donc à la parenté génétique de l'aïnou et de l'indoeuropéen, l'aïnou étant une langue fille de l'indoeuropéen au même titre que les autres langues désignées par ce nom.» (ibid. § 568).

    Ces deux mentions de Naert se contredisent.

    Comment l'aïnou qui n'aurait pas réussi à se créer un système indoeuropéen peut-elle être une langue fille de l'indoeuropéen ?

    Benveniste a rendu dans sa recension du livre de Naert un verdict court (deux pages et demie) mais judicieux (cf. billet 192). Dumézil, par contre, donne une impression mi-figue, mi-raisin dans le sien (quatre pages), pourtant qualifié de "remarquable" par Van Windekens, comparatiste, spécialiste du tokharien, langue indo-européenne ayant existé le plus à l'est. 

    Pour Dumézil, l'emprunt aux (ou l'infusion des) racines des numéraux indo-européens, par exemple: 1 *sem-, 2 *d(u)wo-, 3 *trey-, dans les trois premiers noms de nombre aïnou: 1 si(ne)-, 2 tu-, 3 re- (cf. billet 176) était un fait. 

    Parmi plus d'une vingtaine de mots aïnou, de correspondance plus ou moins avérée (pour lui) avec l'indo-européen, mis dans son «groupe de choc», autour duquel il aurait conseillé à Naert de consolider les arguments de comparaison, figurent entre autres mon «main (en composition)» (lat. manus), ak(k)a «eau» (lat. aqua), pone «os» (germ. *baina-), makiri «couteau» (gr. μάχαιρα «coutelas») classé par lui comme Wanderwort (mot errant), et yukram «foie» dont je viens de récuser, dans le billet 191, la correspondance avec le latin jecur. Les mots pone et makiri sont, selon Madame Tamura, des emprunts au vieux japonais. Pour mon « main » et ak(k)a (= wakka) «eau», je doute fort qu'ils se lient l'un avec manus et l'autre avec aqua (cf. billet 191).

     Dumézil, plus prudent quant à l'examen du vocabulaire aïnou et très sceptique sur l'ensemble de la thèse, ne sortait pourtant pas des lignes indo-européennes de Naert.

    Olivier Guy Tailleur, comparatiste versé dans les langues asiatiques (notamment dans le japonais), entrait en lice avec deux comptes rendus aussi pertinents que piquants du livre de Naert. Tailleur a publié sa première critique en 1960 dans une revue scientifique, juste après une fervente plaidoirie d'Ivar Lindquist en faveur de la thèse de Naert (Indo-European Features in the Ainu Language. With Reference to the Thesis of Pierre Naert, Lund, 1960). 

    Le linguiste français, très instruit en la matière, déclare :

    «malgré les louables efforts de l'auteur, nous ne sortons point convaincus que l'aïnou soit une langue indo-européenne» (Kratylos V, 1960, p. 80). Il trouve aussi, entre autres comme nous, l'équation pronominale: aïnou ku «je» = i.e. *e-g(h)o «inacceptable» (ibid. p. 81. cf. billet 190).

    Vint ensuite dans la discussion Van Windekens (Gjerdman, partisan de la thèse malayo-polynésienne, est à part), grand spécialiste du tokharien. Selon le comparatiste belge, Dumézil, qui admet que l'aïnou est une langue non-indo-européenne dans laquelle s'est produite «une infusion plus ou moins considérable de mots indo-européens» (la phrase est de Dumézil lui-même), se place entre les fervents défenseurs (Naert, Lindquist) et les sceptiques ou négationnistes de la thèse indo-européenne (Benveniste, Tailleur). 

    La connaissance profonde du tokharien fait dire à Van Windekens: «Le fait que les Aïnous appartiennent à la race blanche rend plus probable l'hypothèse d'une langue indo-européenne influencée et déformée par des langues non-indo-européennes, que celle d'une langue non-indo-européenne enrichie par des apports lexicaux d'une langue indo-européenne». (La Thèse de Pierre Naert et l'origine indo-européenne des trois mots aïnou, The Ainu Library, Tokyo, Synapse, 1998, coll. 2, vol. 5) (À suivre). 

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