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Philologie d'Orient et d'Occident
12 mars 2019

Éloge de Grand-Mère

Philologie d'Orient et d'Occident (424)  Le 12/03/2019  Tokyo K.

Genre grammatical et genre humain

Éloge de Grand-Mère (à Anne, tante d'un ami à Berlin)

 

   Kosaka (cf. billet 133), petite commune du département d'Akita, se situe à l'extrémité nord de Honshû, la principale des îles de l'archipel. Elle est à 700 km au nord-est de Tokyo, à 20 km au sud-ouest du lac Towada, parc national. À la fin de l'époque Édo, on a découvert dans les environs de riches filons de cuivre. Depuis, l'exploitation minière a assuré à la commune une période relativement longue de prospérité, au terme de laquelle vit le jour l'auteur de ces lignes.

   Formée de plusieurs agglomérations d'origine aïnou sans doute, la petite commune où continuaient de vivre seulement quelques centaines d'âmes s'est transformée en peu de temps en un bourg moderne de vingt mille habitants aux installations diverses: jardins d'enfants, église catholique, écoles communales, collèges, lycée, hôpital, théâtre de kabuki, stade, terrains de tennis et une salle de cinéma où on s'est émerveillé, au début des années 1950, d'une France sauvage avec Crin-Blanc (Lamorisse, 1953). Au fin fond des provinces du Nord-Est, on accédait aux paysages du midi de France. 

    Deux genres d'humains habitaient la ville: les anciens et les modernes. Ces derniers, cadres et ouvriers, originaires des départements voisins: Aomori, Iwate, Yamagata ou de Hokkaido ou même de Tokyo, étaient venus y travailler dans le commerce ou l'administration, dans des ateliers d'industries diverses, dans la fonderie ou des galeries de mine. Les cadres habitaient des maisons particulières, les ouvriers, de grands ensembles bénéficiant des équipements collectifs tels que l'eau courante, l'électricité, le chauffage ou les bains publics. Cadres et ouvriers, ils étaient bien citadins à nos yeux.

   Immeubles un peu hâtivement construits mais modernes. Sur ces éléments citadins qui s'étaient définitivement installés en ville, les anciens ruraux tranchaient nettement par leurs aspects frustes et sauvages. Notre agglomération était située dans cette traditionnelle subdivision administrative qui ressemblait à un habitat aïnou sinon à un village de Corée du nord.

   Les femmes du secteur campagne, dont faisait partie notre baassan (grand-mère), analphabètes pour la plupart mais dotées de je ne sais quelle sagesse, se montraient extrêmement travailleuses, intelligentes et souvent plus clairvoyantes en toutes choses que les hommes. Les femmes de la ville, dont notre mère, qui étaient effectivement mieux instruites que la longue lignée des mères qui l'avaient précédée, ne l'étaient pourtant pas autant que Grand-Mère. Pourquoi cela?

   Il nous semblait que, du point de vue du sexe, la vie des anciens (hommes et femmes) de notre bourg évoluait à peu près en trois phases: 1) période androgyne (de la naissance à l'âge d'environ 15 ans) où les filles peuvent être garçons, les garçons, filles. 2) période genrée (de 16 à 50 ans) où les deux sexes agissent différemment, tout en se complétant. 3) période épicène (à partir de 50 ans) où les deux se retrouvent pour s'entendre et s'entretenir. La première idée de Grand-Mère a été conçue chez nous, adolescent, lorsqu'elle dépassait ses 50 ans. Étant à l'âge nébuleux, nous n'avions conscience d'elle que comme un être cher, adorable certes, mais sans genre spécifique.

   Olivier Monod (Libération16/01/2019) nous fait part d'une idée d'après laquelle « les Indiens d'Amérique n'avaient non pas deux genres, mais entre 3 et 5! [... ils] n'étaient pas jugés sur leur sexualité, mais sur la façon dont ils aidaient la tribu et contribuaient au bien-être de leurs proches. Ils étaient jugés par leurs qualités et compétences ».

   Cette idée nous fait réaliser que notre conception de la sexualité des femmes âgées du nord du Japon, si éloignée des concepts modernes occidentaux, ne l'est pas autant de ceux de certains groupes d'Indiens d'Amérique ainsi que des concepts grammaticaux de certaines langues archaïques telles que le hittite qui fait distinction des deux genres: animé (qui allait se scinder en deux) ou inanimé pour tous les substantifs.

   À voir les débats se dérouler en France sur la féminisation des noms de métiers (Le Point 22/02/2019. cf. billet 410), on peut se demander si la francophonie, quoique entravée par sa conception dualiste du monde, ne ferait pas mieux de s'aviser qu'il n'y a pas que deux genres, féminin et masculin, mais qu'il y a plusieurs stades de sexualité: femme; homme; femme-homme; homme-femme et transgenre comme chez nous ainsi que chez les Indiens d'Amérique. (À suivre)

 

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