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Philologie d'Orient et d'Occident
24 juin 2014

L'empire du Japon (10) - Que des fictions

Philologie d'Orient et d'Occident (285)

                                   Le 24/06/2014        Tokyo    K.

L'empire du Japon: son essor et ses limites (10)

Le début de l'empire, que des fictions

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  «Vienne l'été !» par Misao Wada

 

   La généalogie impériale traditionnelle prend son point de départ dans le nom de Jinmu (nom japonais: Kamu-yamato-ifare-fiko, cf. billet 284) dont le règne aurait officiellement débuté, selon les deux documents du VIIIe siècle: Koji-ki (Tokyo, Iwanami-bunko, 1963, p. 87) et Nihon-shoki (Tokyo, Iwanami-bunko, 1994, vol. 1, p. 240), au palais Kashiwara, situé au sud-est du mont Unebi (dépt. actuel de Nara).

   La date de l'avènement (660 avant J.-C.) n'est notée que dans le second document, Nihon-shoki, la première des six chroniques officielles (Rikkoku-shi, cf. billet 124), dont la publication (en 720) est postérieure de 8 ans au Koji-ki (en 712).

   Dans le Koji-ki, le terme Sumera-mikoto 天皇 (Ten-wau «empereur», lecture chinoise) n'est utilisé qu'après son avènement, avant lequel, il était toujours appelé ama-tsu kami-no miko 天神御子 «fils de Dieu du ciel». Dans le Nihon-shoki, où la compilation après coup aurait permis d'élaborer la terminologie, le mot apparaît toujours sous la forme unique de «Sumera-mikoto» 天皇 dès le début du chapitre (ibid. p. 198).

   Sumera-mikoto, aremashi-nagara-ni-site sakashi (L'empereur fut sage de naissance).

   L'étymologie de sume-ra (-ra étant probablement une particule d'atténuation) n'est pas encore bien établie. Le rattachement de sume- au nominal sube- du verbe subu «régner» ne serait pas possible à cause de la différence phonologique entre -me- (< -mia-; [-e] A) et -be- (< -bai-; [-e] B). Pour sume-ra, on pourrait plutôt songer au mot sumi «pays, région, coin». Sume-kami désigne «dieu protecteur d'un pays, d'une région»; sume-ro(ra)ki, «chef d'une province, préfet» (cf. K. Nihon-go-wa dokokara umareta-ka. «D'où est née la langue japonaise?» Tokyo, K.K. Bestsellers, 2005, p. 131).

   Quoique Jinmu soit chronologiquement tenu pour le premier des empereurs japonais, on n'est pas à même d'attester le fait, privé d'évidences archéologiques ou bibliographiques susceptibles de prouver sa réalité dans l'histoire. Son existence confine non pas à l'histoire mais à la préhistoire, voire, au mythe. Demi-dieu, il aurait servi de tampon entre le monde des dieux et celui des hommes.

   Les huit empereurs qui lui auraient succédé ensuite (jusqu'au neuvième empereur Kwaïka) sont publiquement connus comme des fantômes dont les quatre derniers en particulier (Ve, VIe, VIIe et VIIIe) auraient bénéficié d'une longévité tout à fait exceptionnelle pour l'époque, tous dépassant plus de cent dix ans!

   Ce sont des empereurs de remplissage enchâssés dans la généalogie pour ne pas interrompre la succession impériale forgée de toutes pièces. Il y a un espace de mille ans entre le dixième empereur Sujin (du IIIe au IVe siècle ? cf. billet 136) et l'avènement de Jinmu en 660 avant J.-C. Neuf empereurs seulement en l'espace de mille ans. Il fallait qu'ils aient vécu longuement. Jinmu est censé avoir vécu plus de 125 ans!

   La fiction a la peau dure dans l'empire. Après le désastre Fukushima en 2011, il y eut une séance de questions-réponses dans le parlement entre un député et le premier Ministre K. C'était, si je m'en souviens bien, à propos des tournées de réconfort effectuées par l'empereur pour les sinistrés ou de quelque chose de ce genre qui concernait les activités de l'empereur actuel. Le député demanda à l'improviste au premier ministre: «Savez-vous, Monsieur le Ministre, le rang qu'occupe dans la chronologie l'empereur actuel?» Le Ministre, sans broncher, répondit: «Je pense qu'il est le 125e». Évidemment, le numéro tient compte des empereurs fictifs.

   Le trou de mensonge bien bouché, personne n'y voit de l'étrange. Cela fait longtemps que M. Mizuno Yû (cf. billet 283) et d'autres ont rendu publiques les fictions avec lesquelles on vit. Personne ne pense à contester ni à corriger la chronologie impériale.

   Le père de Jinmu (Ugaya-fukiafezu-no Mikoto) était né dans une hutte de travail demi-couverte de plumes de cormoran. Il était rejeton d'un dieu Chasseur de la montagne et d'une princesse des eaux, fille d'un roi des poissons. Le début de la première dynastie (il y en a trois selon Mizuno: la première supposée avoir débuté vers 200 finissant vers 290 A. D.) me semble également irréel. (À suivre)

 

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