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Philologie d'Orient et d'Occident
4 mai 2011

L'écriture chasse l'oralité : Annales des trois règnes (2)

Philologie d'Orient et d'Occident (124)
                        Le 04/05/2011, Tokyo       K.

L'écriture chasse l'oralité
    Les Annales des trois règnes (2)



     Le Sandai-Jitsuroku 三代実録 « Annales des trois règnes » fut dédiée en 901 à l'empereur Daïgo (885-930, règne 897-930). Il s'agit de la dernière, mais la plus perfectionnée des Six Chroniques de l'empire 六国史 Rikkokushi : 日本書紀 Nihon-shoki (720), 続日本紀 Shoku-nihon-gi (791), 日本後紀 Nihon-Kôki (840), 続日本後紀 Shoku-Nihon-Kôki (869), 文徳実録 Montoku-jitsuroku (879) qui relata le règne de l'empereur Montoku précédant le temps du Sandai-Jitsuroku (cf. billet 123).

     Des Six Chroniques, le Nihon-shoki, le premier de ce genre, est aussi une des trois premières manifestations de la littérature japonaise. Les deux autres sont : 古事記 Koji-ki « Les Vieux dits », 万葉集 Man'yô-shû, premier recueil de Man-yô « dix-mille feuillets poétiques (waka) ». Le Koji-ki et le Man'yô-shû, tous les deux compilés en idéogrammes chinois (kanji), sont, en grande partie, d'authentiques représentations de la langue japonaise, alors que le Nihon-Shoki, la première des Six Chroniques, toutes rédigées en chinois, pouvait se lire facilement dans la langue japonaise de l'époque.
 
     Les intellectuels japonais (courtisans, clercs ou fonctionnaires) du VIIIe siècle, tous versés dans les lettres chinoises (c'était la condition pour en être), n'avaient pas de difficulté à « lire », c'est-à-dire, à « comprendre » les phrases constituées d'idéogrammes. La science n'était alors que la faculté de comprendre l'écriture chinoise et de s'exprimer par ce moyen. Les idées se transmettaient plus aisément et rapidement par idéogrammes que par l'écriture phonétique (cf. billet 1), tandis que dans les poèmes, l'essentiel se rapportait plutôt aux cadres formels des idées qu'aux idées elles-mêmes.
 
     Ainsi s'établit au Japon ce mode particulier de double emploi de l'écriture chinoise : lire les idées sans s'occuper des sons concomitants (d'où la version chinoise qui constitua longtemps dans le pays l'exercice scolastique de base), et en même temps, représenter les sons japonais par des emprunts phonétiques aux idéogrammes chinois (d'où est issu dans l'écriture japonaise le syllabaire phonétique kana).

     La trilogie mentionnée ci-dessus de la première représentation de l'écriture japonaise (Koji-ki, Man'yô-shû et Nihon-shoki) permet de comprendre où l'on en était pour l'écriture de l'époque. Le Man'yô-shû, recueil poétique, fait état de l'étape où l'on emprunta le phonétisme des idéogrammes en vue de représenter la langue japonaise. En revanche, pour le Nihon-shoki, du genre historique, on imita le cadre narratif depuis longtemps établi en Chine. On pouvait l'imiter tel quel, car les idéogrammes ont pour fonction première de transmettre les idées.

     Le Koji-ki, du genre mythique, présente un mélange de ces deux aspects d'écriture : emploi des idéogrammes comme signes d'idées, et en même temps, recours au phonétisme des idéogrammes. D'où la complexité de cette écriture, complexité japonaise qui ferait désespérer les débutants, mais qui permettrait aux initiés de ne pas avoir à suivre mot à mot les syllabes qui s'enchaînent en images acoustiques.

     Au début du VIIIe siècle, au centre du pays, la pratique courante de retenir par cœur la genèse d'un pays avait déjà évolué. Hiéda-no Aré n'était plus, lui qui fut l'aède dont les récits servirent de base à la rédaction du Koji-ki. Sa faculté de retenir tout ce qu'il avait vu et ouï (parce qu'il n'avait pas appris les idéogrammes) fut inégalée.
    Dans l'art de l'enregistrement, l'écriture chasse l'oralité. On ne pouvait se payer le luxe de se doter des deux moyens à la fois. L'un des deux (écriture ou oralité) suffisait pour retenir. Une fois notée, la mémoire d'un aède n'était pas de mise.

     Décrire un événement, noter une histoire, une légende, un simple récit ou même tenir un journal n'était pas autre chose qu'exprimer, de façon inavouée ou ouverte, une volonté de retrouver son identité, se reconnaître dans le temps et l'espace et, par la suite, de se consolider et s'imposer. L'empire se faisait un devoir de ne pas manquer de laisser un témoignage écrit des sinistres, entre autres événements extraordinaires. Il fallait que l'empereur régnât même sur les cataclysmes.    (À suivre)

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