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Philologie d'Orient et d'Occident
1 juin 2010

L'Oie : *ghans- indo-européen, χήν grec, ngan chinois et leurs homologues japonais gan et kari (3)

Philologie d'Orient et d'Occident (31) Le 01/06/2010, Tokyo K.

L'Oie : *ghans- indo-européen, χήν grec, ngan chinois

et leurs homologues japonais gan et kari (3)

 

    gan japonais n'est évidemment pas sorti de kari ancien. C'est d'ailleurs un pur anachronisme de croire que kari de l'époque du Man'yô-shû ait été une réfection de gan de l'époque Edo (de 1603 à 1867). Le plus grand et détaillé des dictionnaires de la langue japonaise (Nihon-kokugo-daijiten, format réduit, Tokyo, Shôgakkan, 1980) ne signale aucun exemple de gan antérieur à l'époque Edo. Le mot gan est un emprunt tardif au chinois. Pendant l'époque Edo, de petites écoles (Tera-koya) pour l'enseignement de la lecture chinoise (kan-bun) s'étaient développées dans de grandes villes. Beaucoup de kango (mots chinois) à la lecture kan-on qui furent popularisés, dont 雁 gan, sans doute, au lieu de kari.

    J'ai déjà parlé, dans le billet 2, de la grande évolution de la langue japonaise qui, longtemps sans écriture, s'était rabattue sur les kanji. On peut situer au IIIe siècle le début de l'introduction massive des idéogrammes chinois dans l'archipel. Il s'agit d'un usage de l'écriture à des fins de moyen de transcription d'une langue orale depuis longtemps en usage. On peut cependant supposer que les communications entre les continentaux chinois et les insulaires nippons étaient en réalité entamées bien auparavant. On sait qu'au premier siècle, une visite protocolaire en Chine de la part de l'archipel fut gratifiée, par le premier empereur des Han orientaux, d'un don du sceau d'or dans lequel était inscrit le kanji témoin, reconnaissant que son porteur était un roi. Au début du IIe siècle, une autre autorité locale de l'archipel envoya une mission au même empire des Han. On trouve la fameuse mention du pays de « Yama-tai » (Yama-to?) dans un document chinois daté du IIIe siècle. Tout cela porte à croire qu'au niveau oral il y avait déjà des échanges assez fréquents entre la Chine de la fin de la Haute Antiquité et l'Archipel nippon.

    Il convient, dans cet état de choses, de supposer que plusieurs groupes d'insulaires (soit officiels soit gens de mer, voire, écumeurs ou professionnels dans d'autres occupations : négociants navigateurs, armateurs aventuriers) avaient déjà eu des contacts oraux avec la langue chinoise des Han postérieurs. 雁 en pékinois moderne yàn se prononçait, dans l'empire de l'époque, non pas ian mais ngăn.

    On a déjà vu, surtout dans les billets 7, 8, 9 que la différence de son entre ng- (nasale) et g- (gutturale) n'entraînait pas de différence de sens, sinon pour les continentaux, du moins pour les insulaires (= de futurs Japonais) : ngıo / ngo (< ngıag « poisson ») étaient perçus comme gio (kan-on) / go (go-on), nga (< ngar « moi ») comme ga (kan-on et go-on), et ngıʌn (< ngıăn « parole ») comme gen (kan-on) / gon (go-on).

    Si ngan avait été perçu non pas comme nasale ng- mais gutturale sonore g- (c'est d'ailleurs plus que probable), la sonore gan n'aurait eu aucune difficulté à passer en sourde kan. C'est de ce kan provenu de ngăn chinois qu'était sorti notre kari « oie ». Or, quel en était le procès? Les Japonais de l'époque n'avaient-ils pas, comme je l'ai montré dans le billet 30, de la répugnance pour la terminaison -n ?

    Il faut voir, entre-temps, que l'évolution de ngan en kan était sans doute perçue par les gens de l'archipel des premiers siècles, qui, encore ignorants en caractères, ne savaient que faire de l'écriture chinoise qui, support visuel autant des idées que du phonétisme, avait pour fonction de conserver plus ou moins intacte la prononciation du mot. Alors, depuis l'époque Edo où les Japonais apprenaient à lire massivement en kan-on, le kanji 雁 (n)gan ne fut transfiguré ni en son ni en sens, d'où le conservatisme au Japon des deux formes gan et kan (→ kari). Pour la transformation de kan en kari, il faut la détailler dans le billet 32. 
(A suivre).

 

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