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Philologie d'Orient et d'Occident
25 février 2023

φρήν au masculin (2)

Philologie d'Orient et d'Occident (508)

Le 28/02 2023, S. Kudo

Quel est le genre grammatical du mot grec : φρήν ? (2)

CIMG5123

Cirque à Nantes (photo par S. K. 2017)

  J’ai essayé de m’expliquer une idée selon laquelle le mot homérique φρήν pouvait être non féminin mais masculin. J’en ai fait part à mon illustre ami Jean-Pierre Levet, helléniste et grammairien comparatiste de Limoges. Il m’a fait parvenir sans tarder cette réponse. Je me permets avec son autorisation d’en présenter le texte intégral.

... ... ...

  J.-P. Levet:

  Ton explication me paraît séduisante. Je possède deux exemplaires du petit dictionnaire Hatier. L’un m’a été donné par mon père qui l’utilisait lorsqu’il était lycéen. Je me suis servi de ce livre pendant toutes mes études (lycée et faculté). J’ai acheté l’autre pour Raymond et Anne-Marie, il a remplacé l’ancien, dont la couverture était abîmée. Tous les deux attribuent le genre masculin à φρήν.

  S’il s’agissait d’une simple erreur d’impression, elle aurait pu être corrigée. Cependant, aucun autre dictionnaire ne donne le genre masculin pour ce mot. Toutefois, un autre nom d’organe, ἀδήν « glande », est donné comme masculin ou féminin par Bailly. Mais le mot σπλήν « rate » est masculin. Manifestement, donc, pour certains noms d’organes le grec a hésité entre le masculin et le féminin. En français même une semblable hésitation existe, la rate mais le foie, le cœur mais la vessie etc.

  Pour essayer de comprendre ce qui s’est passé, remontons loin dans le temps. Comme le montre le hittite, l’indo-européen le plus ancien a dû distinguer, comme tu le rappelles, l’animé de l’inanimé. L’animé est à l’origine du masculin et du féminin, l’inanimé du neutre. Mais une évolution considérable s’est produite lorsque l’opposition grammaticale entre animé et inanimé a disparu. Le genre masculin et le genre féminin sont alors devenus arbitraires, ou plutôt ont été conditionnés par des facteurs multiples, un au moins pour chaque mot ou groupe de mots.

  Mais ces facteurs sont difficiles à définir précisément et ils sont certainement nombreux. Toutefois l’opposition entre le masculin et le féminin n’est pas constante (certes un taureau et une vache, un chien et une chienne, un homme et une femme, mais on dit aussi, ce soldat est une sentinelle etc.). Un même mot peut être tantôt masculin, tantôt féminin, c’est le cas en grec de ἄνθρωπος.

  Pour expliquer la disparition de l’opposition entre l’animé et l’inanimé, j’ai proposé l’explication suivante : avant l’apparition du verbe, les noms d’action qui l’ont précédé se construisaient avec le génitif pour les animés (la course du cheval mâle ou femelle), les êtres animés accomplissant vraiment les actions évoquées, alors que les inanimés la subissent (la feuille n’accomplit pas l’action de tomber, elle la subit), d’où l’emploi de l’accusatif de relation (il y a action de tomber relativement à la feuille). Lorsque le verbe s’est constitué en tant que verbe avec sa conjugaison, cette différence a disparu mais le neutre, héritier de l’inanimé, a conservé dans la déclinaison une identité de formes en ce qui concerne le nominatif et l’accusatif. De tout cela a résulté en-dehors du hittite, qui a conservé un état archaïque pour les noms, une grande confusion qui a rendu arbitraire l’attribution du genre au substantif, puisque les mots masculins, féminins et neutres devenaient tous identiquement sujets du verbe. C’est la grammaire qui a développé l’arbitraire du genre dans une opposition entre genre grammatical et genre naturel. De ce point de vue, les langues indo-européennes, à l’exception du hittite qui a conservé le statut ancien du nom et le statut nouveau des formes verbales, ne sont pas logiques.

  Certaines féministes d’aujourd’hui s’attaquent – bêtement – à la grammaire qui ne s’est pas constituée par antiféminisme ! Ch. Georgin, qui était un grand savant, a pu, comme tu le supposes, avoir en tête la finale -ην de noms d’organes masculins, féminins ou tantôt masculins, tantôt féminins. Que penses-tu de tout cela ?

  ... ... ...

  Tout cela semble confirmer l’authenticité de l’attribution du genre masculin à φρήν.  (À suivre)

 

 

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