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Philologie d'Orient et d'Occident
1 mai 2012

La langue de Jômon, cette inconnue (6)

Philologie d'Orient et d'Occident (175)

                                        Le 01/05/2012, Tokyo    K.

         La langue de Jômon, cette inconnue (6)

    Le nom de nombre 7 en japonais

 

     Les Grecs homériques avaient pour le nombre 9 ἐννέα (lat. nŏvem) une prédilection marquée (cf. ἐννῆμαρ « pendant 9 jours »). Ce qui est bien compréhensible, car le concept du nombre 9 peut se composer harmonieusement de trois fois trois (3 x 3). Les Jômons n’étaient pas sensibles à cette belle composition numérique. Chez eux, d’un à dix, les nombres 1 (fi) / 2 (fu), 3 (mi) / 6 (mu), 4 (yo) / 8 (ya), 5 (itu) / 10 (to) paraissaient s’ordonner dans un système binaire. Seuls les deux nombres impairs 9 et 7 y échappaient.

  On vient de voir dans le billet précédent (174) que le nom de nombre 9 koko-no peut provenir d’un pronom-démonstratif ko-. Alors, quelle leçon peut-on tirer de cet exemple d’étymologie pronominale quand on veut éclaircir la véritable nature du nom de nombre impair 7 nana ? Le nombre 7, dépourvu de la symétrie, n’est divisible ni à égalité, ni en tripartie. Pour les Jômons, le nombre 7 était un concept plus difficile à rendre que le 9.

     Françoise Bader, éminente théoricienne des pronoms indo-européens, publia jadis un opuscule original intitulé « Fonctions et étymologie pronominales » (L’Information grammaticale nº 17 mars 1983). Après un exposé bref mais profond des problèmes de catégories grammaticales que le pronom peut susciter en contact avec le verbe, elle affirme, avec une logique mathématique, que « les pronoms indiquent d’autres incertitudes : interrogation ; indécision quant à la personne (indéfini) ; à l’extrême, négation ; incertitude dans la phraséologie du discours (peut-être, et son contraire, assurément) ».

     Suivant sa logique, il se pourrait que du pronom indo-européen *ne puisse sortir, non seulement le pronom personnel latin nos, mais toute sorte d’adverbes tels que nae, nē affirmatifs de même que ne, non(ne) négatifs latins, ναί, νή affirmatifs grecs de même que νη- préfixe négatif. L’élément pronominal *ν- indo-européen ne se concrétise en grec que dans le pronom personnel duel νώ et son dérivé. Ναί, forme homérique antérieure à νή affirmatif, signifiant à l’origine non pas « oui » mais « certes ou certainement », pouvait s’employer à exprimer deux sens contradictoires : « certes oui » et « certes non ». L’adverbe français certes ou le japonais moderne zettai(-ni) se comporte exactement de la même manière. 

     L’indo-européen *n- pronominal ne fonctionnait pas dès le début comme un pronom personnel mais comme un démonstratif emphatique (pour la permutabilité pronom / adverbe, cf. oc « hoc » en occitan, o-ïl « hoc + illum » en francien). Le négatif sanskrit normal na (ne …pas) peut s’atténuer en « pas exactement » dans l’expression na iva (= comme). Ce sens de na « comme, de même que », ne proviendrait pas de na iva. Car dans la langue védique, antérieure au sanskrit, la particule na était déjà munie de ces deux acceptions (ne…pas et comme) sans lien apparent mais en concurrence. Le pronominal indo-européen *n- a son lieu en nau (au duel) et nas (au pluriel), pronoms enclitiques de la première personne.

     L’évolution sémantique de l’affirmatif au négatif dans la phraséologie du discours indo-européen aura été suivante : cela assurément > à peu près > pas exactement > pas tout à fait > pas du tout. Na de comparaison (comme) se situerait au milieu (= pas exactement).  

     Le japonais archaïque disposait de trois na : pronom personnel na (tu, toi), affirmatif (ika-na « je vais, moi ») et négatif (na iki « ne va pas »). Le pronom chinois nĭ (tu, toi) va à travers nio, niak et niag, jusqu'à remonter à *nag primitif, privé de la voyelle d’intervention i (cf. billet 21). On ignore encore si l’élément commun n- des deux langues était lié au pronominal indo-européen *n-.

    Le nom de nombre 7 nana (forme répétée de na démonstratif) ne peut-il pas être né de ce genre de procès ? Il disposait, comme nom de nombre, d’un sens non pas numériquement précis mais vaguement adverbial : « moyennement (nombreux) ».  (À suivre).

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