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Philologie d'Orient et d'Occident
22 janvier 2022

Interprétation homérique (4)

Philologie d'Orient et d'Occident (492) : le 22/01, 22 Tokyo, S. Kudo

Accusatif et nominatif neutres : Interprétation du chant 22 de l'Iliade , v. 490

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Le Mont Fuji au soleil couchant (le 2 janvier 2022, photo par Fuyuki Nose)

 

ἦμαρ δ᾽ὀρφανικὸν παναφήλικα παῖδα τίθησι· (Iliade, chant XXII – v. 490)

  Le vers est suivi d’une séquence relatant les misères qui pourront survenir à l’enfant né entre Andromaque et Hector, son époux légitime, qui venait justement d’être tué. Voici l'état misérable du futur orphelin d’après la traduction de Mario Meunier (Albin Michel, 1956, coll. Livres de Poche) :

  Le jour qui fait un enfant orphelin le rend isolé de tous ceux de son âge : le mot παναφήλικα est analysable en : παν (tout à fait), ἀπὸ (sans)-ἧλιξ (camarade). La plainte d’Andromaque se poursuit : Il va toujours baissant la tête, et ses joues sont humectées de larmes. (…).

  Le jour qui fait un enfant orphelin le rend isolé de tous ceux de son âge. (Mario Meunier 1956) ; Le jour qui rend un enfant orphelin l’isole de tous ceux de son âge (Eugène Lasserre 1965). Par rapport à ces deux traductions, à peu près identiques, celle par Robert Flacelière (1955, éd, de La Pléiade : L’orphelin perd, du coup, les amis de son âge) évite d’avoir à argumenter sur les questions qu’on va se poser maintenant. Une vieille traduction en anglais qui date de 1925 (coll. Loeb): The days of orphanhood cutteth a child off from the friends of his youth; ever is his head bowed low, and his cheeks are bathed in tears (…). Le traducteur, professeur à l’université Harvard, A. T. Murray, de la même manière que ces deux traducteurs français, met le mot ἦμαρ en position du sujet de la phrase et non pas adverbiale de l’accusatif dit de relation.

   Comme un des derniers échantillons, la traduction de Philippe Brunet (2010) : Le jour qui fait l’orphelin le fait aussi solitaire : il va la tête baissée, ses joues sont couvertes de larmes. Ici, il  est exclu que le mot ἦμαρ, interprêté comme sujet de la phrase, puisse être de l’accusatif.

  Les deux traductions en japonais du mot ἦμαρ se partagent : l’une (celle du Pr. Kure de Tokyo : Minashigo-no hi wa sukkari nakama-hazure-ni kano-ko wo shimashô), fait poser le mot ἦμαρ en sujet (= nominatif). L’autre (celle du Pr. Matsudaira de Kyoto : Tetenashi-go-no mi-no-uwe-wa (…) onaji-toshigoro-no kodomotachi-kara kirihanashi-te shimai-masu) ne rend pas explicitement ἦμαρ. Le lecteur ne voit donc pas si ἦμαρ était au nominatif ou à l’accusatif.

  Ce vers, qui commence par un nom neutre ἦμαρ (le jour) suivi d’un adjectif ὀρφανικὸν, se trouve au v. 490 du chant Iliade. Ce neutre, à quel cas grammatical peut-on le considérer ? Constitue-t-il un sujet du verbe : ἦμαρ δ᾽ὀρφανικὸν παναφήλικα παῖδα τίθησι ? Ou l’unité ἦμαρ (δ᾽) ὀρφανικὸν est-elle simplement une expression adverbiale comme il arrive souvent à l’accusatif neutre de l’adjectif, telles que : νέος (nominatif «nouveau, jeune») - νέον (accusatif «nouvellement, récemment) ; μόνος (nom. «seul») - μόνον (acc. «seulement») ; πυκνός (nom. «fort, dru») - πυκνόν, πυκνά (acc. «fortement») ; τυτθός (nom. «tout petit») - τυτθόν (acc. «un peu») ? Le couple nominatif/adverbe du mot neutre ὄναρ (nom. «songe» et ὄναρ; adverbe «en rêve, en songe») peut être né d’après ces nombreuses expressions en accusatif neutre.

  Pour voir clair, il faut envisager deux choses. L’une concerne la nécessité habituelle de toujours dresser, dans l'analyse d'une phrase dans une langue européenne, un sujet, soit réel soit impersonnel. L’autre, la spécificité du genre neutre. Celle-ci exige une large vision pour l’indo-européen, tandis que la nécessité habituelle d’un sujet dans la proposition ne demande qu’un examen simple et limité.    

   ἦμαρ/ δ᾽ὀρφανι/κὸν πανα/φήλικα/ παῖδα τί/θησι.

  Dans ce vers dactylique, le verbe τίθησι est mis au présent de l’indicatif. Le sens n’est pas compliqué, si l’on sait disséquer l’adjectif παναφήλικα en παν-ἀπο-ἧλιξ (camarade). La difficulté surgit surtout lorsqu’on veut analyser tous les détails grammaticaux mis en rapport, afin de rendre compte du sens d’ensemble.

  Le mot τίθησι, le verbe principal, construit la phrase. Le mot ἦμαρ n'est donc qu’un sujet de la phrase en nominatif. Du coup, cette analyse exclut la possibilité que ἦμαρ puisse être accusatif (de relation). La question mérite d’être posée car le nominatif et l’accusatif d’un nom neutre sont identiques et que l’accusatif pouvait avoir une existence bien antérieure au nominatif.  (À suivre)

 

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