Philologie d'Orient et d'Occident (491) : le 08/01, 22 Tokyo, S. Kudo
Accusatif ou datif ? Interprétation du chant Iliade 22 (2) Deux aspects : imperfectif et perfectif
Le Mont Fuji au solei levant (photo le 2, janvier, 2022 par Fuyuki Nose)
J. P. Levet : Je comprends parfaitement les arguments que l'on peut avancer en faveur du datif memaôti, le doute subsiste ne serait-ce qu'en raison de l'ordre des mots.
Ce que tu dis du perfectif et de l'imperfectif m'intéresse beaucoup et peut s'appliquer à l'ardeur d'Hector (une ardeur habituelle ou une ardeur dans les circonstances décrites).
Pour dépasser l'opposition entre verbe transitif et verbe intransitif, il faut s'interroger sur la valeur de base de l'accusatif. A mon avis, la fonction première, originelle, de l'accusatif est d'être un accusatif de relation décrivant la limitation de l'extension du contenu d'un verbe ou d'un adjectif : agile quant aux pieds et non pas agile dans l'absolu, aller à Rome et non pas aller dans une direction indéterminée, lancer une pique et non pas lancer un objet indéterminé. L'identité du nominatif et de l'accusatif dans les noms neutres me semble confirmer cette explication. Les neutres étant à l'origine des inanimés, ils ne peuvent pas accomplir une action, c'est l'action qui s'accomplit relativement à eux, d'où dans la structure primitive de la phrase verbale une identité originelle de l'accusatif (primitif) et du nominatif (secondaire). Le cheval court signifie bien qu'il y a course accomplie par le cheval (être animé), alors que la feuille tombe exprime une chute qui se produit relativement à la feuille (objet inanimé). La fonction de limitation de l'accusatif est apparue avec la création des verbes et des adjectifs dans la genèse du système indo-européen. Mais bien sûr tout cela n'est qu'hypothèse. Qu'en penses-tu ?
S. Kudo : L’accusatif de relation me fait penser à une particule à la même fonction en japonais. Il s’agit de -no- particule (aussi en -nu, -ga < -nga- < - na, particule d’origine pronominale).
L’emploi de ces particules est facultatif. Amé (no) ooi (abondant) kuni : « quant à la pluie, le pays en a en abondance ». Le mot amé n’est pas le sujet de la phrase mais rend compte simplement de la relation des éléments de la phrase : « Quant à amé, le pays est abondant ». On peut bien dire sans -no- « furu « tomber » kuni (le pays où il pleut) ». (Il) pleut est une expression sans sujet proprement dit. Je pense que l’accusatif de relation est au centre des cas grammaticaux. La particule japonaise était sans doute indépendante au même titre que la désinence casuelle en indo-européen.
Par ailleurs, tu dis du héros troyen d’Hector qu’il avait une ardeur habituelle ou une ardeur dans les circonstances décrites. Une ardeur habituelle est justement de l’aspect perfectif qu'Hector s’était donné par lui-même, une ardeur dans les circonstances décrites, de l’imperfectif qu’il vivait alors (accentué non pas sur l’aspect perfectif mais sur la durée). Ces deux aspects permettent de rappeler l’erreur si longtemps laissée sans rectification de l’incipit du roman de Proust.
Longtemps, je me suis couché de bonne heure.
La nouvelle formule de l’ouverture du traducteur Inoue Kyû-Itchirô est « nagai aïda-ni, watasi-wa hayaku-kara neru-youni-natta ». Pour les personnes peu familières de la langue japonaise, la première formule nagai aida-ni « depuis longtemps » fait inéluctablement supposer un cours du temps indéterminé, aspect qui correspond en français à l’imparfait. C'est là que pèche décidément Inoue. Évidemment, il fallait se servir du premier mot du roman, c'est-à-dire, non pas « depuis longtemps », mais « longtemps ».
Notre traducteur ne pouvait imaginer qu’un roman commence par un incipit à l'aspect perfectif.
La littérature de notre pays peut difficilement distinguer ces deux présences réelles, c’est-à-dire, l’auteur du roman et le Narrateur.
… …
En 1980 et en 1981, quelques publications concernant l'incipit du roman ont été faites : il s’agissait des deux tentatives d’éclairer l’état manifestement confus d’interprétation de l’incipit du roman de Proust. (S. Kudo, Bulletin. Meijigakuïn en 1980, octobre et l’autre, Kazuyoshi Yoshikawa, Furansu tetsyô « Cahier de France » No 10, 1981).
À l’auteur du premier article qui a franchement critiqué son erreur (Bulletin Meijigakuïn), Pr. Inoué Kyû-Itchirô a reconnu l’objection dans ces termes : la critique est tout à fait juste d'après la fonction de la phrase de l’ouverture. Je voudrais exprimer mes plus profonds regrets pour mon parti pris et pour la mise en garde péremptoire publiée dans mon mémorandum. (Mémorandum du traducteur Proust III B. Inoué Kyû-Itchirô, Éd. Chikuma, 1982, août) (À suivre)