Philologie d'Orient et d'Occident (467) le 06/02, 2021 Tokyo K.

Le Sud-Ouest de la France (5)

Gascogne et Occitanie

Guyenne linguistique et onomastique

 

De l’autre côté de l’image 466. On voit au fond le Mont Fuji.

(Suite au billet 466)  

   Comme on le voit dans le plan, Lectoure où s’est transmis l’épisode légendaire de l’Homme Vert est en deça (au sud-ouest) de la ligne de démarcation des deux critères linguistiques : -ll > -t ; -ll- > -r- et f  > h, alors que la ville se situe en dehors (au nord-est) de l’aire d’emploi de que d’introduction, dit énonciatif.

   Que énonciatif s’emploie partout en gascon pour présenter tout énoncé, sauf expression négative, ni interrogative ni impérative, ni subordonnée. Cette particule, en plus, n’a pas de sens précis. Le fait pourrait témoigner de ce que l’emploi de la formule, sans signification ni précise ni concrète, occupait en effet l’aire beaucoup plus vaste qu’à présent, étendue de l’estuaire de la Gironde vers les Pyrénées. Le vieil épisode de l’Homme Vert est parsemé de ce que énonciatif.

   Pour la formule que énonciatif, nous disposons, pour le gascon moderne, de deux cas un peu contradictoires : chez J. F Bladèr (1827-1900), qui a recueilli Contes de Gasconha de plusieurs conteurs de Lectoure, l’apparition de la formule n’était pas régulière, souvent confondue avec le pronom relatif que (= qui, que, dont, parce que, puisque, pour que etc.), alors pour Pèire Bec (1921-2014, cf. billet 116), professeur de philologie et écrivain en langue gasconne, l’usage de que énonciatif est catégorique, régulièrement observé.

   Au début de son roman Sebastian, il emploie sept que énonciatifs dans un passage de sept phrases :

   Dehòra, la nueit quembaranava de negre la grana hièstra envaporada. M. Delbòsc que’s levèc entà barrar los contravents, prengoc son jornau e que’s tornèc assietar au cornèr. Sebastian que tornèc prénguer tanben la sua plaça, sus la cadièra baisha, au deguens medish deu larèr.

   Tot d’un còp, quauqu’un que tustèc a la pòrta. Sebastian que sortiscoc deu son saunei e que’s levèc entà draubir.

  Dehors, la nuit (que) entourait de noir la grande fenêtre embuée. M. Delbosc (que) se leva pour fermer les contrevents, (que) prit son journal et (que) se rassit dans le coin. Sébastien (que) retourna aussi à sa place, sur la chaise basse, au milieu même du foyer. Tout à coup, quelqu’un (que) frappa à la porte. Sébastien (que) sortit de sa somnolence et (que) se leva pour ouvrir.

   On voit que, dans la traduction en français, on n’a nul besoin du terme correspondant à cette particule, qui sert, en gascon, à intensifier ou à accentuer l’intonation. Elle n’a effectivement que la fonction stylistique presque du même ordre que les particules emphatiques grecques : μέν, δέ, δή « certes, précisément, en vérité », même si ces particules d'intensité n'allaient pas directement s'appliquer aux verbes.  (À suivre)

   P.S. Ce numéro est dédié, pour son aide constante, à mon épouse Kyoko K.