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Philologie d'Orient et d'Occident
21 avril 2020

Rats et moineaux, nourriture moderne

Philologie d'Orient et d'Occident (453) le 21/04, 20 Tokyo K.       

    Rats et moineaux comme nourriture moderne 

KIMG0648

Pousses de bambou comestibles estimiées par les bonzes (Jôsen-ji, Tokyo Shibuya, photo par Kyoko K.)

   Il est une illustration dans un manuel scolaire qui nous semble extraordinaire. Il s'agit du Cours Malet-Isaac, publié d'abord chez Hachette en 1921, qui a connu de nombreuses éditions, dont nous tenons dans les mains la plus récente (toujours chez Hachette, Paris, 1961). L'illustration (p. 199, selon l'édition de 1961) représente un boucher de Paris, dans cet hiver particulièrement rigoureux de la guerre franco-prussienne. Paris avait été durant le siège amplement arrosé des bombes allemandes, notamment dans les dernières phases du combat, en janvier 1971. On voit le boucher manifester fièrement qu'il vendait la viande de chats (viande féline), de chiens (viande canine) et de rats, et que son travail consistait à dépecer, comme la volaille, un chat, un chien ou des rats. Nous nous souvenons d'avoir vu dans une autre illustration d'un manuel scolaire, qu'un boucher vendait, au pire moment de la guerre, non seulement la viande de cerf et de biche, de zèbres, de girafes, mais aussi, d'éléphant, de panthère et même de lion qui appartenaient tous au jardin zoologique de Paris.

   La peste noire qui a ravagé plusieurs fois l'Europe au Moyen Âge, provenait de l'habitude de se familiariser dans la cuisine, sans doute dans les ménages les plus misérables, avec des rats. La maladie aurait été transmise, non pas directement par ces rongeurs mais par des puces leur suçaient du sang. Mais ces animaux, on n'en mangeait jamais dans notre pays. Au lieu des rats, on faisait grand cas des moineaux qu'on n'aurait jamais appréciés en France. Nous nous souvenons de la stupeur de la plupart des Français quand ils apprirent qu'on estimait au Japon ce petit oiseau à la chair menue consommé en toutes petites quantités.

   Nous nous souvenons également que, dans L'Épervier de Maheux de Jean Carrière, prix Goncourt de l'année 1972, était décrite une manière d'apprêter et d'assaisonner le corbeau dans certain endroit très pauvre d'Auvergne. Cette habitude pouvait être commune en Occident et en Orient. Mais d'où vient cette différence alimentaire fondamentale entre l'Est et l'Ouest?

        - - - - - -

    Dans quelques-uns de nos billets récents (surtout: billet 441, 442, 443, 444, tous intitulés: Les Grecs, que mangeaient-ils ?), nous avons vu ce qui se passait en Grèce antique dans ce domaine. Et nous avons pu constater, si nous ne nous trompons pas gravement dans nos enquêtes, ces quelques faits:

   1) La constitution de repas antique est extrêmement simple, la viande (porcins, sangliers, bovins, ovins, caprins, antilopes) comme le plat principal et plusieurs sortes de grains, apparition qui est évidemment postérieure aux animaux, comme aliment secondaire. Le pain n'était donc nullement l'aliment principal. Les produits de grains assumaient la fonction de garniture de la viande.

  2)  La viande était tout d'abord, non pas pour les hommes, mais pour les dieux: ambroisie qui leur devait procurer l'immortalité, avec le nectar, breuvage des dieux qui n'était pas simplement une sorte de vin (fait de raisin) mais confectionné de plusieurs sortes de plantes dont le jus aurait été délicieux. Ces aliments, la viande d'abord et les grains ensuite devaient être en premier lieu offerts aux divinités. 

 3)  Le sens religieux de l'alimentation antique s'est progressivement perdu au cous du temps. S'y est implantée la nouvelle interprétation des aliments: les grains d'abord; la viande ensuite qui suit les produits de grains. D'où l'importance accrue des aliments qui étaient jadis en seconde place. La perte de la connotation religieuse des aliments s'est instaurée définitivement.

   L'appétit des gens, partout en l'Ouest et l'Est, s'est porté vers les particularités gastronomiques régionales, telles grenouilles, rainettes, escargots, jadis corbeaux et rats. Le processus de désacralisation est le même en Asie. Au Japon on mangeait parfois des vipères, mais pas de grenouilles. En Chine, la désacralisation est consommée en faveur du système politique qui ne s'immisce nullement dans le domaine de l'alimentation populaire, laisse manger des singes, des hiboux et des serpents. En Corée, des chiens. La résurgence de ces anciennes traditions alimentaires serait aux yeux des Européens une énormité, et fait souvent l'objet de critiques condescendantes. Mais les Chinois voient avec les mêmes yeux l'alimentation insolite des Européens.

   Au Japon, la nourriture animée a toujours gardé un sens religieux. Ce sentiment n'est pas de longue date. Le repas Ainou se constituait de saumons, de fruits de mer et de plantes diverses. Le Hokkaido (cf. du billet 188 au 206:19 billets en série), vieille terre froide, imprégnée d'une forte religiosité fut longtemps sans riz, grain sur lequel s'est fondé l'Empire. (À suivre)

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