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Philologie d'Orient et d'Occident
24 mars 2020

Ἔκφρασις 2(8)

      Philologie d'Orient et d'Occident (451) le 24/03,20 K. Tokyo

        Ἔκφρασις 2(8)  -  L'art de négocier chez Homère et Carlos Ghosn

CIMG6138

Cerisier en fleur (photo prise de notre balcon par Kyoko Kudo. Le 23/O3, 20)

 

   Au chant IX de l'Iliade, est en jeu, l'identité du chef qui fera de la jeune Briséis son esclave, fille adoptive de Khrysès, prêtre d'Apollon. Le début du récit est remarquablement instructif pour l'art de la parole et de la négociation. L'intrigue est dès le début compliquée. On voit que l'antagonisme entre Agamemnon, l'Atride, roi des hommes (Ἀτρεΐδης ἄναξ ἀνδρῶν); pasteur des peuples (ποιμήν λαῶν)" et le divin Achille (δῖος Ἀχιλλεύς), le plus vaillant et courageux de l'armée grecque, est presque inné. C'est ce dernier, Achille, qui est le premier héros, personnage principal de l'épopée. Mais leur origine à tous les deux se confond avec les mythes des dieux olympiens. L'antagonisme n'est donc pas passager mais enraciné, ancestral, voire héréditaire. C'est un contexte bien connu de l'auditoire des poèmes homériques.

   Voici tout au début de l'épopée (chant 1er, v. 176) un propos adressé par Agamemnon à Achille. Cette invective révèle qu'ils sont tous les deux, comme plusieurs d'autres rois (βασιλέες), originaires de Zeus.

   ἔχθιστος δέ μοί ἐσσι διοτρεφέων βασιλήων·

   "Tu es le plus odieux des rois nourris de Zeus"

   Or, Agamemnon, qui s'était emparé de Briséis, la jeune captive qu'Achille recevait en bonne et due forme comme une des récompenses de sa bravoure aux combats, revient devant tous guerriers grecs sur son acte d'outrage commis dans un accès de folie envers Achille, en le privant de la captive qu'il choyait. Il fallait donc organiser une délégation auprès d'Achille, avec maint objet de compensation pour lui (On est au chant IX de l'Iliade).

  Furent nommés, comme membres de la délégation diplomatique, trois héros: d'abord le vieux Phoinix (Φοῖνιξ), le phénicien, qui a été jadis précepteur d'Achille; ensuite Aïas (Αἴας) et Ulysse (πολύμητις Ὀδυσσεύς). Ils étaient accompagnés d'Odios (Ὀδίος) et Eurybatês (Εὐρυβάτης) comme deux hérauts. Ils étaient donc au moins cinq. Telle était la composition de la délégation homérique.

  D'abord surpris, mais Achille les reçut avec magnanimité. Cette rencontre avait été bien préparée par le vieux conseiller des grecs, Nestor (Γερήνιος ἱππότα Νέστωρ).

   Après les salutations coutumières de part et d'autre, Aïas prit, le premier, la parole. C'est Ulysse qui parla ensuite avec la même conviction. En dernier ce fut Phoinix qui, ne voulant pas suivre la même logique, aurait souhaité émouvoir, en évoquant de vieux souvenirs, Achille, afin de lui faire admettre la compensation et de faire réussir l'arrangement à l'amiable proposé par Agamemnon. Inflexible, Achille ne céda en rien. C'était d'ailleurs l'une des conclusions prévues. Après s'être si bien préparés, ils se séparèrent. Il faut admettre pourtant que le procédé des pourparlers semble offrir tous les aspects d'une institution démocratique à l'époque homérique. L'essence de la négociation démocratique était toujours, et avant tout, langagière.

            - - - - - -

   "Notre vice-ministre de la Justice, Hiroyuki Yoshiie, visiblement monolinguiste, est venu (le 2, mars) à Beyrouth pour discuter en anglais avec son homologue libanais plurilingue dans l'espoir de réintégrer Ghosn dans sa prison (pour lui extorquer des aveux). Avec une seule langue étrangère, comme bagage à sa disposition, la force de persuasion dont il voudrait démontrer la justice japonaise ne pèsera pas beaucoup plus que le poids d'une plume." (cf. billet 450) Ce qui montrerait que les pourparlers à la japonaise ne sont pas à la hauteur de ceux des anciens méditerranéens.

    Mme Mori, ministre de la Justice, supérieure de Hiroyuki Yoshiie, a affirmé: "si l'accusé se prétend innocent, il devrait donner lui-même les évidences (preuves) de son innocence". À cette affirmation insolite aurait répliqué, moqueur mais non sans humour, son homologue Libanais plein de bon sens (l'emploi du conditionnel est nécessaire parce qu'on fut, faute de l'orignal, obligé d'utiliser la traduction en japonais).

    Réponse du haut fonctionnaire libanais est la suivante: "C'est le parquet judiciaire accusateur, et non l'accusé, qui doit fournir les évidences. C'est le parquet judiciaire qui doit les présenter. Pourtant, votre méprise doit être bien excusable, car votre régime judiciaire ignore ce principe." Nous ne savons pas si notre jeune ministre de la Justice, habituellement si arrogante devant nous autres Japonais, avait compris de quelle nature était sa propre inculture. Notre pays est, sur ce chapitre, beaucoup plus arriéré que le Liban. Carlos Ghosn, ancien élève de Polytechnique, avait dû se frotter au plus fameux (IX) des chants de l'Iliade. (À suivre).

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