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Philologie d'Orient et d'Occident
27 août 2019

Ἔκφρασις (2)

Philologie d'Orient et d'Occident (436)  Le 27/08/2019  Tokyo  K.

κφρασις (2)  -  Qu'est-ce que le cyane ?

Chant XVIII de l'Iliade

CIMG5582

Le château d'Excideuil, en haut Périgord (novembre, 2018. photo K.)

   

   Pour la décoration ciselée dans les différents métaux du nouveau bouclier d'Achille (cf. billet 435), plusieurs représentations auraient été inhabituelles dans l'armure. Le déroulement d'un procès public en plusieurs instances pour la compensation après un meurtre en serait une. Suit une image d'une autre ville en guerre où assiégés et assiégeants se préparent pour l'assaut à l'instant-même où hors les murs se déroule sur un site bucolique un autre conflit âpre entre les bouviers de la ville et les assiégeants qui veulent s'emparer, au prix du sang, des biens des premiers. Tout cela qui se succède sans ordre précis semble être tramé par les desseins malicieux des dieux de l'Olympe.

   La succession de divers motifs décoratifs dans le bouclier d'Achille ne ressemble en rien aux tapisseries historiées et ordonnées de Bayeux ou du château ducal d'Angers. Voici donc sur quoi notre lecture homérique se focalise. 

   À la suite de ces représentations, Hèphaestos, dieu artisan du bouclier, met aussi, toute chargée de grappes, une vigne, belle, dorée [(ἀλωὴν καλὴν) χρυσείην]; des raisins noirs étaient en haut des ceps, que partout redressaient des échalas d'argent [(κάμαξι) ργυρέσιν]. Autour, il traçait un fossé de métal bleu sombre [(κάπετον) κυανέην], et tout le long, une barrière d'étain [(ἕρκος) κασσιτέρου] (chant XVIII, v. 561 - v. 565, tr. Eugène Lasserre, l'Iliade, Flammarion, 1965, p. 320).

   Dans cette strophe, le traducteur Eugène Lasserre s'est servi de quatre adjectifs formés sur des noms de métaux:  χρυσείην "dorée" [< χρύσειος < χρύσός "or"]; ργυρέσιν "d'argent"[< ἀργύρε(ι)ος < ἄργυρος "argent"];κυανέην "de métal bleu sombre"[< κυάνεος < κύανος "substance d'un bleu sombre employée pour colorer les ouvrages en métaux - armes, boucliers, etc"; "lapis-lazuli, pierre bleue", selon le Bailly; "dark blue enamel, blue dye, extracted from copper carbonate, selon Franco Montanari, Brill 2015]; κασσιτέρου "d'étain"[< κασσίτερος "étain"]. Or, à la rigueur, le dernier mot: κασσιτέρου est un génitif du substantif: κασσίτερος et non un adjectif. 

   Longtemps, la couleur bleuâtre qui ressort au vers 564 du chant XVIII [Αμφὶ δὲ, κυανέην κάπετον, (...)  ἔλασσεν - Tout autour, il traça un fossé bleu foncé] a intrigué les commentateurs. S'agit-il de la couleur de la terre de la fosse? Ou de celle du métal que le dieu forgeron utilisait pour présenter l'aspect de l'endroit? Pour la version de l'édition Gallimard (la Pléiade) 1955 (Il trace tout autour, en acier, un fossé: p. 427), le traducteur a opté pour le métal, s'exprimant en note: J'ai traduit par acier le mot cyanos, qui désigne une substance d'un bleu sombre; cette traduction n'est qu'approximative, mais il est sûr au moins que, dans ce passage, le cyanos ne peut être qu'un métal, et non une pâte de verre teintée. (ibid. p. 921)

   Une des traductions en japonais: 瑠璃の琺瑯 (ruri-no enameru "émail de couleur lapis-lazuli", Kure Shigeichi, coll. Iwanami, 1958) correspond sans doute à la pâte de verre teintée que le traducteur de la Pléiade a rejetée. Pour une occurrence de kyanos métal, on est renvoyé au vers 24, chant XI de l'Iliade. Il s'agit de la cuirasse d'Agamemnon que lui donna jadis Kynyrès, roi de Chypre, île connue aussi pour ses mines de cuivre, métal de fond pour divers alliages. Elle était formée par une série de dix bandes en cyane foncé, de douze en or et de vingt en étain (Mario Meunier, L'Iliade, Le Livre de Poche, 1956, p. 239). Mario Meunier s'interroge aussitôt: Qu'est-ce que le cyane ? Un métal, d'après ce passage. Le mot grec indique une couleur d'azur sombre (ibid.). Ces dix bandes de cyane qui couvraient une surface importante du bouclier ne pouvaient être faites de matières colorantes, quel qu'en soit l'emploi.

   L'origine de kyanos, aurait été cherchée, sans être pourtant définitive, du côté des Hittites: probablement, un emprunt hittite: "(bleu comme) cuivre, pierre décorative [Friedrich 1952 s. v.]" - Robert Beekes 2010, tandis que la note dubitative de Chantraine (Dictionnaire Étymologique de la Langue Grecque 1983) nous semble une des plus rassurantes: Et[ymologie]: Emprunt. Tous s'accordent, depuis Goetze, Friedrich (...), Benveniste, BSL 50,1954, 4, à rapprocher hitt. kuwanna "azurite". (...) (À suivre)


 

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