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Philologie d'Orient et d'Occident
16 juillet 2019

Formalisme et phonétisme (8)

Philologie d'Orient et d'Occident (433)  Le 16/07/2019  Tokyo  K.

Formalisme d'Orient et phonétisme d'Occident (8)

L'homonymie en français et en chinois archaïque

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"Je suis fier d'être banturle" (photo: Henri Habrias, limousin à Nantes)

 

   En français, le son /sɛ̃/ a de nombreuses réalisations graphiques à fonctions sémantiquement ou grammaticalement différentes: sain (n. adj.), saint (n. adj.), sein (n.), seing (n.), ceint (adj. et p.p. du verbe ceindre), en plus de quelques formes conjuguées au présent du même verbe: (tu) ceins, (il) ceint. D'autres cas similaires seraient /vɛ̃/: vin, vain, vingt; (tu) vins, (il) vint (venir); (tu) vaincs, (il) vainc (vaincre) ou /fɛ̃/: fin (n.), fin (adj.), faim (n.); (tu) feins, (il) feint (et p.p. du verbe feindre); ainsi de suite.

   Pour les substantifs-adjectifs, la marque -s du pluriel non prononcé accroît le nombre des mots concernés. Cependant, la prononciation /sɛ̃/ (ou /vɛ̃/, /fɛ̃/) d'aujourd'hui ne procède pas d'une origine unique. Cet aléatoire soutenu seulement par le contexte, privé d'un accent qui, comme en chinois, permette de distinguer même des monosyllabes, est inhérent à l'homonymie du français du nord (l'occitan vin n'est pas /vɛ̃/ mais /bi/). Les jeux de mots ou les calembours dépendent de cet état précaire et fortuit.

   Un phénomène similaire mais au fond très différent existe en chinois. Le sens "maison, foyer" est représenté par 家, constitué de deux graphismes: 宀 "toiture" et 豕 "porc, cochon". Le composé montre ce qu'est une maison par l'image de "bétail sous toit". Aux temps de Zhou-Qin (3000∼2200 BP), ce mot aurait été prononcé, selon le Tôdô 1980, /kăg/ qui, se transformant à travers le temps en /kă/ (Sui-Tang), /kia/ (Song-Yuan-Ming) finit par aboutir à /jiā/ "maison, foyer, ménage" (pékinois moderne).

   Cette transformation phonétique (kăg> kă> kia> jiā) est strictement suivie par deux autres idéogrammes 稼 (禾 "millet, riz, grain" + 家 "foyer") "planter, culture des céréales, récolte, gagner, gain" et 嫁(女 "femme" + 家) "bru; (se) marier, imputer qc à qn"). Les trois sont de parfaits homophones liés par l'élément commun 家, quoique 稼 et 嫁 (surtout le dernier) aient été de formation bien postérieure à l'originel 家.

   Dans le lexique du chinois archaïque qui termine le travail du Dr Tôdô Akiyasu (Chûgokugo On'in-ron "La Phonologie chinoise" Tokyo, 1957), l'auteur propose 677 vocables clés. Le mot numéroté 157 (p.341) "bru", est rendu non pas par 嫁 mais par 婦 (女 "femme" + 帚 "balai"). serait donc antérieur à 嫁, car celui-ci ne figure pas dans la liste. La femme pour son fils ("bru") aurait donc été imaginée comme "femme à balai". La "femme-foyer" (嫁) est-elle une version postérieure de "femme à balai"? La chronologie phonétique 婦 "(femme) mariée, épouse" est, selon le Tôdô 1980, bıuǝg (arch. brjwǝg selon le Tôdô 1957) - ǝu - fu - (pékinois).

   La composante sémantique en commun à ces trois mots n'est autre que 家 "bétail sous le toit". Qu'est-ce qui lie raisonnablement (voire, étymologiquement) la première manifestation phonétique /kăg/ à son sens "maison"? C'est sans doute l'ensemble visuel 家 (= 宀 +豕) qui évoquait "la maisonnée avec du bétail". Le signe linguistique fait de son et de sens peut être arbitraire, mais à l'aube du graphisme, il n'aurait pas manqué d'évoquer le lien entre la forme et le sens. Il n'était pas arbitraire mais nécessaire.

    Nous avons trouvé dans le lexique du Tôdô 1957, trois homophones (mots à prononciation unique) au sens différent. Nous les présentons dans le schéma: archaïque / pékinois moderne: suivis de leurs correspondants de l'édition Tôdô 1980:

(1957) "mari, lui" prjwag / fwı"hache" prjwag / fwı; "peau" prjwag / fu

(1980) "mari, lui" pıuag / fū, fú ; "hache" pıuag / ;   "peau" pıuag  / fū  cf. 婦 "femme, épouse": fù  en pékinois moderne .

   L'homophonie des trois vocables (mari, hache, peau) semble totale dans ce schéma. On peut admirer l'ultime effort du pékinois moderne qui veut diversifier par les accents les mots: "mari, lui" fū, fú : "hache" : "peau" : accessoirement, "femme" .

   Les deux mots 獅 shī "lion" (arch. sïer) et 師 shī "maître" (arch. sïer), en parfaite homophonie, font toujours la paire en Chine où le tigre 虎 (arch. hag) "lion tacheté, tigré" (siha en sanskrit), prédominait largement dans la littérature. Les deux mots d'animal: shi et hag ne semblent pas provenir d'une origine commune, mais ("chien" +  "maître") et  ont la partie commune évidente. La tradition veut que le nom de l'animal noble, sïer "lion", ait été d'origine iranienne, soit, indo-européenne. (À suivre)

 

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