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Philologie d'Orient et d'Occident
23 avril 2019

Formalisme et phonétisme (2)

Philologie d'Orient et d'Occident (427)  Le 23/04/2019  Tokyo  K.

Formalisme d'Orient et phonétisme d'Occident (2)

 À un ami spécialiste de tokharien

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Plage Copépé (Ogasawara - Chichijima, le 25 mars 2019, photo K)

   Aux temps homériques, c'est-à-dire, vers 2800 ans BP, l'aède chantait des épopées, ses créations poétiques épiques à la demande du public aristocratique. Son métier consistait donc à créer des œuvres ou à apprendre par cœur plusieurs longs morceaux oraux aux thèmes traditionnels et à les chanter en s'accompagnant d'un instrument de musique, φόρμιγξ, une sorte de lyre. Homère fut le plus célèbre de ces aèdes.

   Leur activité artistique, foncièrement orale, ne reposait pas sur l'écriture, quoique plusieurs systèmes d'écriture fussent déjà bien répandus et en usage dans le monde méditerranéen. À l'époque, la création littéraire la plus pratiquée se passait d'écriture. Il est à nos yeux surprenant qu'il n'y ait eu, dans les deux œuvres homériques, aucune occurrence de γράμμα "lettre, caractère d'écriture soit gravé soit tracé", alors qu'on reconnaît, au vers 168, chant VI de l'Iliade, un terme permettant de supposer la présence sinon de caractères d'écriture proprement dits mais, au moins, de signes graphiques.

     πέμπε δέ μιν Λυκίην δέ, πόρεν δ᾽ὅ γε σήματα λυγρὰ  (v. 168)

"mais il (Roi Proïtos) envoya Bellérophon en Lycie, et lui donna des signes funestes"

     γράψας ἐν πίνακι πτυκτῷ θυμοφθόρα πολλά ...  (v. 169)

"traçant dans une tablette repliée maints caractères mortels" (tr. selon E. Lasserre)

   Ce passage, unique dans Homère, permet d'envisager qu'il s'agisse des signes linguistiques. Cependant nous ne savons pas au juste la nature exacte des signes qui différeraient des lettres en caractères d'écriture.

   Il est clair que depuis le temps immémorial de l'oralité occidentale, le sens était plus étroitement lié au son qu'à la graphie. D'où est née, en Occident, la prééminence éternelle du son sur la représentation graphique de la langue. L'arbitraire saussurien du signe linguistique concernait le son (image acoustique) et le sens, non pas l'image visuelle et le sens, comme c'est souvent le cas dans les pays d'Asie à idéogrammes.

                                                             - - - - - -

    L'évaluation des emprunts réciproques entre le tokharien, langue aux principes phonétiques, et le chinois ancien, langue aux principes idéogrammatiques, est ainsi extrêmement hasardeuse à opérer, le résultat d'évaluation bien incertain et aléatoire. Il en est de même d'un simple essai de comparaison entre ces deux langues, d'autant que le tokharien est disparu depuis belle lurette. Mais faute de meilleure méthodologie, nous continuerons d'examiner, de notre point de vue idéogrammatique, quelques emprunts tokhariens en chinois, numérotés d'entrée dans le travail de Václav Blažek et Michal Schwarz (Innsbruck 2016 cf. billet 426).

    6) (p. 25) Nous sommes quasiment réduit à quia en ce qui concerne la pertinence du lien entre la graphie 姫 (< tši < ki - que le japonais conserve - < kıei < ǝg, selon le dictionnaire Tôdô 1980) et son sens "fille de famille, appellation hypocoristique de fille" lié au tokharien A kuli, acc.sg kule; B klīye klyīye, acc.sg. klaiklaiñ klai- "femme, femelle". L'idéogramme 姫 est déjà composé de deux éléments: 女 (< niu <ıo < nıag) "femme, fille"+ 臣 chén (< ghien "sujet, ministre"). Or, selon le Tôdô, 姫 est une forme postérieure, de calque légèrement simplifié de 姬. Ce qui aurait assuré la lecture (< tši < ki < kıei < ǝg) n'est pas 臣 chén (< ghien) mais la portion droite du caractère 姬 (sans 女). L'idée qui lie le son 姬 (ǝg) au sens hypocoristique de "fille", assuré sans doute par 女 nıag "femme, fille", n'est toujours pas claire.

   La formation secondaire de l'idéogramme 姫 fait entrevoir, avec son sens raffiné, de l'image d'une société évoluée. L'idéogramme ne serait pas postérieur au début de la dynastie des Zhou de l'Ouest (vers 3000 ans BP). Les auteurs figurent l'original en *klǝ, forme qui fait supposer en effet l'accusatif tokharien en kule, klai-, etc. Mais la société devait être bien hiérarchisée. Dans cette Chine antique, l'idée parfaitement conçue de "fille de bonne naissance" aurait-elle manqué de son signe phonique au point qu'on doive recourir à un emprunt à une langue étrangère?

   7) (p. p. 26)  L'argument des deux auteurs autour du terme chinois 軌 guǐ "roue, cercle" (< kuǝi < kıui < kıuǝg, selon le Tôdô) est enrichissant. Cependant, on se demande pourquoi les deux savants n'ont pas recueilli dans la liste de vocables comparés le grec κύκλος que R. Beekes fait venir justement de l'indo-européen *kwe-kwl-o. (À suivre)

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