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Philologie d'Orient et d'Occident
18 décembre 2018

Le genre grammatical (9) et ses conséquences (7)

Philologie d'Orient et d'Occident (418) Le 18/12/2018  Tokyo K.

Le genre grammatical (9) et ses conséquences (7)

Du nom au nom-verbal ; du nom verbal au verbe

 

   Le procès de transition du syntagme nominal au syntagme verbal en indo-européen et en japonais, esquissé rapidement dans notre dernier billet (417), ne nous semble pas suffisamment clair. Creusons donc un peu plus le problème d'un autre point de vue.

   La langue sanskrite dispose de deux systèmes du futur, très différents de date et de caractère (cf. Sanskrit Grammar, W.-D. Whitney, Harvard University Press, 2e éd. 1889, p. 330). L'un, le plus ancien, a pour signe temporel, une sibilante s suivie par -ya. Pour l'actif du verbe √dā  "donner", sa conjugaison est comme suit: dāsyāmi "je donnerai";  dāsyasi "tu donneras"; dāsyati "il / elle donnera", etc; pour le moyen: dāsye "je me donnerai"; dāsyase "tu te donneras"; dāsyate "il / elle se donnera", etc.

   L'autre, de formation postérieure, dit "futur périphrastique", est composé d'un nom d'agent en -tā (< -tṛ) suivi d'un auxiliaire qui n'est autre que le verbe ontique √as "être". Ce temps possède l'actif et le moyen de l'indicatif, mais sans mode ni participe. Pour √dā est ainsi la conjugaison, à l'actif: dātāsmi "je donnerai" (= dātā + asmi); dātāsi "tu donneras" (= dātā + asi); dātā "il / elle donnera"(= dātā + zéro); au moyen: dātāhe "je me donnerai"; dātāse "tu te donneras"; dātā "il / elle se donnera", etc.

   Le futur périphrastique sanskrit se distingue sur deux points remarquables; d'abord, le syntagme au futur est composé d'un nom (d'agent) et du verbe ontique √as conjugué au présent de l'indicatif; ensuite, la conjugaison est systématiquement privée, à la troisième personne, du verbe auxiliaire: dātā "il / elle donnera", dātārau "eux / elles deux donneront" (au duel) et dātāraḥ "ils / elles donneront". Il ne s'agit pas en effet de la conjugaison verbale √dā mais de la déclinaison de la racine nominale dāt "donneur".

   Or, la première personne dans la grammaire sanskrite correspond à la 3e personne du singulier en gréco-latin. Pour le verbe "boire" (< *pō), le lexique sanskrit met en premier lieu pibati "il / elle boit", là où on trouve πίνω "je bois" (πίνειν) ou bibo "je bois" (bibere). La 3e personne du singulier est au centre de la conjugaison verbale sanskrite.

    Au futur périphrastique, les trois formes fondamentales de la première personne (singulier, duel et pluriel): dātā, dātārau et dātāra, sont toutes privées du verbe auxiliaire √as. D'ailleurs, la composition: nom (d'agent) + verbe ontique √as ne suivit pas un système rigoureux: l'auxiliaire put être ajouté à la troisième personne ou omis aux première et deuxième personnes (cf. W.-D. Whitney, ibid. p. 336 § 944), et l'inversion est également attestée: dātāsmiasmi dātā "je donnerai". Tout cela nous amène à croire que, dans le syntagme verbal, l'élément verbal (√as) n'a rien à voir avec l'indication du futur.

   On se dit donc qu'en l'espèce le sens futur ne consiste que dans le nom d'agent: dātā. Mais comment un nom (d'agent) qui n'a normalement pas affaire avec la référence au temps peut-il avoir le sens d'un verbe au futur ?

   Le nom masculin au nominatif singulier: dātā peut être paraphrasé: celui qui donne. Dans ce syntagme nominal transparaissent déjà deux différences aspectuelles: celui qui donne est rarement celui qui est en train de donner (inaccompli) mais celui qui a l'habitude de donner (accompli). Le nom d'agent dātā n'est pas d'aspect duratif mais accompli. Celui qui donne est donc celui qui a donné dans le passé et celui qui donnera dans le futur. L'emploi est hors du temps, ἀ-όριστος (< ἀ négatif + ὀρίζω "limiter"). Dans le langage homérique, l'aoriste, signifiant une action pure et simple, abstraction faite de toute considération de durée (Chantraine, Grammaire homérique II Syntaxe, Klincksieck 1981, p. 183), pouvait couvrir non seulement le prétérit mais aussi le présent, et parfois le futur (ibid. p.184-185). De même, le mot dātā put assumer à lui seul le sens du futur sans recourir à aucun auxiliaire.

    - - - - - -

    Ce jeu aspectuel fini (nominal) / duratif (verbal) qui existe dans la plupart des noms d'action doit avoir travaillé en ryûkyû pour former le verbe numun (ou nunun) "boire" < numi "acte de boire" d'aspect fini + wun "subsister" duratif (-wu en forme de wuin, wum, wun, wuri, wurun - Atlas linguistique du Japon, Tokyo, 1966, II, carte 53, cf. billet 33), de même en japonais: nomu "boire" en provenance du nominal nomi "acte de boire" était suivi par (w)u < ゐ wi, ancien verbe ontique "être". (À suivre)

 

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