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Philologie d'Orient et d'Occident
25 septembre 2018

Le genre grammatical (3) Ses conséquences (1)

Philologie d'Orient et d'Occident (412) Le 25/09/2018  Tokyo K.

Le genre grammatical (3) et ses conséquences (1)

 

   Au sujet de notre dernier billet (le 11/09/18), il nous est parvenu un commentaire, bref mais fort instructif de la part de René Merle, écrivain, agrégé d'histoire habitant dans le Midi, sur l'originalité du genre grammatical en provençal: Un mot sur la toponymie de Toulon, où j'habite. L'entrée Ouest de la ville se nomme "Bon rencontre" (rencontre de deux routes). Le masculin provençal du mot "rencontre" n'est plus compris des néos, qui le corrigent en "bonne" ! Le jeu sur les changements de "sexe" est assez passionnant pour les écoliers de récupération du provençal (...) : la sau (le sel), la lèbre (le lièvre), una anchòia (un anchois), la comtat (le comté) mais : un estudi (une étude), etc. etc.. 

   Dans le grec qui dispose du masculin, du féminin et du neutre, il y a un genre qui se met rarement en position de sujet de la phrase. Un nom de ce genre se tient complémentaire de l'énoncé: complément d'objet direct (accusatif) ou indirect (datif-instrumental, locatif voire adverbial) d'un syntagme verbal. Il s'agit du genre neutre qui s'appelait anciennement l'inanimé, l'un des deux genres grammaticaux du hittite (cf. billet 411), langue indo-européenne la plus archaïque qu'on ait jamais connue. On peut donc dire que ce genre, dont les noms n'étaient pas de nature, contrairement à ceux de l'animé, à gouverner une phrase, était subordonné à ce dernier partagé en deux genres en grec: masculin et féminin.

   Dans l'Iliade, le mot sceptre (σκῆπτρον), du genre neutre, signifiait, non pas « bâton de voyageur, de mendiant », signification chère à l'Odyssée, mais « sceptre d'un roi, d'un porteur de parole, d'un héraut, d'où, pouvoir suprême ». Le mot se trouve employé 27 fois (2 fois à l'acc. au pl.: σκῆπτρα) dont une fois seulement au nominatif (σκῆπτρον), une fois au génitif (σκήπτρου), 8 fois au datif-instrumental (σκήπτρῳ) et 15 fois à l'accusatif (σκῆπτρον). Une seule des 15 occurrences à l'accusatif dans l'Iliade signifie « bâton pour s'appuyer », employée pour Hèphaestos, dieu forgeron, le boiteux (XVIII-416). On voit ici que plus de la moitié des occurrences du mot σκῆπτρον lourd de sens: "sceptre royal; pouvoir suprême etc.," sont à l'accusatif, c'est-à-dire, au cas régi par le sujet. [L'Odyssée: 9 occurrences σκῆπτρον: 8 à l'accusatif, une seule au nominatif]

   Dans la langue japonaise, personne n'a jamais subodoré l'existence des genres grammaticaux à l'occidentale. Cependant, notre analyse du pluriel japonais (cf. La langue japonaise, d'où est-elle née? Tokyo, Bestsellers, 2005, chap. III), nous a fait soupçonner l'éventualité de deux sortes de noms pour le pluriel, scindés entre deux genres: l'animé et l'inanimé. Dans la formation du pluriel des nominaux, la différence est bien perceptible entre personnes (et choses animées) propres à former le pluriel avec suffixes tels que -ra, -domo, -tachi, -shû, et choses (inanimées) qui ne s'y prêtent pas.

    Charles Haguenauer (1896-1976), grand orientaliste français, écrit à propos du pluriel japonais:

   Comme c'est le cas en altaïque, en coréen et en ainu, le mot nominal est morphologiquement indifférent à toute notion de genre ou de nombre. La pluralité peut être précisée toutefois soit au moyen de suffixes (-tachi, -nado, -ra, -domo), soit par la combinaison du mot nominal avec un sémantème antéposé (moro, tous; ex.: moro.bito, tous les hommes). (Les langues du monde, CNRS, 1952, Slatkine, 1981, t. II, p. 456)

   À notre avis, quant à l'idée de genre et de nombre, le japonais perpétue l'état primitif comme d'une langue proto-indo-européenne. L'indo-européen a progressé dans l'accentuation du genre animé (d'où l'importance croissante du sujet): le japonais, vers l'amortissement de l'animé (d'où le sujet moins net, souvent fantôme) vis-à-vis de la valorisation du genre inanimé en compléments indirects.

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   En indo-européen, le sujet établi, l'attribut s'organise. Des deux nominaux mis côte à côte, l'un, sujet, régit l'autre exprimant une action, un mouvement (d'où le verbe). Ce dernier se munit dorénavant d'une désinence personnelle pour s'équilibrer avec le sujet, qui, à son tour, s'équipe d'une désinence casuelle pour mieux s'adapter à son attribut: verbe ou adjectif. Alors, le verbe, pour être assorti au sujet à flexion casuelle, se pourvoit de jeux d'apophonie, d'une panoplie de préfixes, de suffixes ou d'augments pour marquer le temps, le mode, la voix etc. Ainsi sont créées conjointement la déclinaison casuelle et la conjugaison verbale.

   Quel est alors exactement le rôle d'un nom neutre, en ancien inanimé, qui est rarement sujet d'une phrase? On va voir prochainement qu'il n'était nullement subordonné mais aussi indépendant que le sujet du genre animé. (À suivre) 

 

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