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Philologie d'Orient et d'Occident
8 novembre 2016

Ne pas se fier à Platon pour lire Homère (2)

Philologie d'Orient et d'Occident (363)

                                            Le 08/11/2016  Tokyo  K.

Il ne faut pas se fier à Platon pour lire Homère (2)

             Dédié à la mère de Clément Lévy décédée fin octobre à Toulouse

CIMG3771

Source à trois cours, Yatsugatake (photo prise par Kyoko, le 2 juin, 2012)

 

      Les épopées homériques ont été composées environ six siècles avant Platon, il s'agit à peu près du temps qui sépare les chansons de geste des œuvres de l'époque classique. D'Homère à Platon, il faut traverser la même distance chronologique que de la Chanson de Roland aux comédies de Molière. Au temps d'Homère, très éloigné donc de celui de Platon, le subjonctif n'était pas un mode "subjugué, subordonné" qui nécessitât toujours une particule conjonctive de subordination telle: κέ(ν), ἄν, ἵνα (afin que), ὡς (ἂν) (pour que), ἔστε ἂν (jusqu'à ce que), ὅπως ἂν (afin que), etc., éléments essentiels, à l'âge classique grec, des propositions subordonnées.

   Un emploi du subjonctif aoriste dans le Banquet (Συμπόσιον, 211c) aurait attiré l'attention de Takashi Yamamoto, traducteur japonais de l'œuvre de Platon (cf. billet 362). Peu conscients ou peu habitués à la grammaire homérique où le mode subjonctif était quasi indépendant, les anciens commentateurs de Platon ont diversement corrigé le passage, tantôt avec tantôt sans conjonction justifiant l'emploi du subjonctif.   

   Au dernier billet publié dans ce blog, Jean-Pierre Levet, illustre helléniste de Limoges, a bien voulu apporter un savant commentaire que je me permets ici de reproduire:

   Le titre de ta feuille de blog est fort bien choisi et très significatif. Comme l’a enseigné Bérard, que tu cites opportunément, le subjonctif homérique pouvait équivaloir à un futur dans tous les types de propositions (subordonnées, indépendantes, principales), alors que, à l’époque classique, le subjonctif n’a conservé cette valeur que dans les subordonnées derrière une conjonction accompagnée de la particule ἂν.

   Cette valeur du subjonctif provient de sa capacité à exprimer, outre la volonté, l’éventualité. Il y a quelques rares traces du subjonctif en sanskrit védique (par exemple asati [(qu'il) soit] de la racine AS [être], < *h1es-e-ti, qui donne aussi latin erit [futur]). On estime que le subjonctif s’est à peine développé en sanskrit avant de disparaître complètement dans les textes classiques.

   Je suis entièrement d’accord avec ton explication du vers 273 du chant XVI de l’Iliade, même si une autre explication semble théoriquement possible : ce subjonctif γνῷ pourrait avoir une valeur finale comme τιμήσομεν [= τιμήσωμεν] (subjonctif aoriste athématique archaïque à voyelle brève) derrière la conjonction ς accompagnée de ἂν. Mais la construction de l’ensemble de la phrase et notamment la place de δέ καὶ derrière γνῷ rend plus plausible l’interprétation de γνῷ comme un subjonctif à valeur éventuelle (c’est-à-dire de futur) : « et alors l’Atride saura… ».

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   Le rapprochement avec le Banquet (211c) est particulièrement intéressant. Le texte des manuscrits est incertain et la présence de ἵνα correspond à une correction d’éditeur. La lecture γνῷναι (elle aussi correction d’éditeur) impliquerait que cet infinitif ait une valeur de but « pour savoir finalement… », mais une telle correction ne s’impose pas.

   Le subjonctif est appelé par la conjonction ἔστε (avec ἂν) signifiant « jusqu’à ce que ». Bien qu’il soit éloigné dans cette phrase de la conjonction, le subjonctif γνῷ pourrait s’expliquer de la même façon (dépendance de ἔστε ἂν) « et < jusqu’à ce qu’> il sache… ». L’adjonction de ἵνα καὶ modifierait le sens de la phrase et la valeur du subjonctif (volonté et non plus éventualité) : « pour qu’il connaisse… ». (...) L’édition dont je dispose (Léon Robin, aux Belles Lettres, 1966, p. 70) donne simplement καὶ γνῷ (...).

   Les corrections diverses apportées par certains éditeurs montrent la difficulté d’interprétation du texte parce que γνῷ semble trop éloigné de ἔστ᾽ ἂν [...] τελευτήσῃ.

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   Cette leçon me permet de présumer qu'en ce qui concerne le passage 211c, le manuscrit originel de Platon doit être proche de c) où, sans conjonction appelant un subjonctif, on voit coordonnés mais indépendants deux verbes au subjonctif.

a) ἔστ᾽ ἂν [...] τελευτήσῃ (sub.), [...], καὶ γνῷ (sub.) (Léon Robin 1966, 211c)

b) καὶ [...] τελευτῆσαι (inf.),[...], ἵνα γνῷ (sub.)        (Léon Robin 1989, 211c)

c) καὶ [...] τελευτήσῃ (sub.), [...], καὶ γνῷ (sub.)                            (À suivre)

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