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Philologie d'Orient et d'Occident
27 septembre 2016

Une nouvelle traduction des Pensées (5)

Philologie d'Orient et d'Occident (360)  Le 27/09  2016  Tokyo  K.

"Répandre ou verser, selon l'intention"

Une nouvelle traduction des Pensées de Pascal (5)

001142  Pierrot et sa sœur par Misao Wada (cousu main)

 

      Carrosse versé ou renversé selon l'intention.

     Répandre ou verser selon l'intention.

     Plaidoyer de M. le M. sur le cordelier par force.

     (Lafuma, Pascal Œuvres complètes, éd. du Seuil, 1963, p. 582, fragment 579-53)

   La petite phrase au milieu: «Répandre ou verser selon l'intention» est présentée dans la traduction de Shiokawa Tetsuya: 注ぐ、もしくは注ぎ込む。意図の有無による。sosogu, moshiku-wa sosogi-komu. Ito-no umu-ni yoru (éd. Iwanami, t. II, 2015, p. 313)

    Contre cette version s'insurge Matsumura Takeshi, lexicologue-médiéviste (cf. billet 356): En lisant ces phrases, les lecteurs pourront-ils comprendre ce que veut dire Pascal ? Leur est-il possible de voir quelle différence d'intention il y a entre le verbe «注ぐ sosogu» et le verbe «注ぎ込む sosogi-komu» [tous les deux signifiant "verser"]? (halshs-01220083, p. 10). Pour étayer son assertion, le lexicographe japonais (auteur du Dictionnaire du français médiéval, 3500 p, Les Belles Letttres, 2015) reproduit un conseil, pertinent en l'occurrence, du Dictionnaire de l'Académie française de 1694 (Nous modernisons la graphie, ainsi de suite):

     Et on dit à un homme qui porte un plat, un vase plein de bouillon ou de quelque autre liqueur, Prenez garde de répandre, non pas, Prenez garde de verser. (ibid.,)

    Son raisonnement consistant à trancher entre répandre et verser semble bien supérieur à celui du traducteur qui met dans une perplexité totale la plupart des lecteurs japonais souhaitant appréhender deux termes presque synonymes: sosogu et sosogi-komu. D'autre part, l'emploi en parallèle du mot intention et l'existence d'une association d'idée (versé, renversé / verser) sont bien visibles dans les deux premières phrases: Carrosse versé ou renversé selon l'intention. Répandre ou verser selon l'intention.  

    Or, il nous semble y avoir une autre association d'idée pascalienne, anticipée cette fois, dans répandre (ou verser selon l'intention). Il s'agit de l'allusion au texte concernant la troisième phrase du fragment: Plaidoyer de M. le M. sur le cordelier par force.

   À propos de cette phrase énigmatique, Michel Le Guern (1937-2016) formule cette longue note:

        Les Plaidoyers et harangues d'Antoine Le Maistre [= M. le M., ancien avocat] avaient été publiés (...) après sa conversion et sa retraite à Port-Royal-des-Champs. Dans le sixième plaidoyer, «Pour un fils mis en religion par force», on trouve l'expression (...): «Dieu qui répand des aveuglements et des ténèbres sur les passions illégitimes» (le mot répand est souligné par l'auteur, Pléiade II, p. 1497).

   Le traducteur Shiokawa rend justement, dans son commentaire sur le fragment, ce «répand» par sosogareru, forme de respect pour sosogu (verser). (op. cit., p 314).

   Pour le verbe répandre, Gaston Cayrou, dans son Français classique (Paris, Didier, 1948), ne fournit qu'une définition prise au Dictionnaire de l'Académie (1694), avec une occurrence chez Molière: v. tr. - «Sign. au fig... Distribuer à plusieurs personnes.» Aux pauvres, à mes yeux, il allait le répandre. (Mol., Tart., v. 298. - Il s'agit des libéralités de Tartuffe).

   Littré (1863), en dehors des acceptions: épancher, laisser tomber un liquide; répandre de l'eau sur la table; abs. Prenez garde de répandre, fournit un autre sens: départir, distribuer à plusieurs personnes; Répandre des bienfaits.

    Pour le XVIIe siècle, le lexicologue Furetière (1690) est plus prolixe que les Académiciens. Répandre: épancher, faire tomber de la liqueur. Les tables de bois de rapport se gâtent, quand on répand de l'eau dessus. Ces occurrences sont de la même catégorie que «Prenez garde de répandre».

    Furetière poursuit son enquête sémantique: (répandre) se dit aussi de la distribution de plusieurs choses; les Capitaines Romains répandaient de l'argent parmi les soldats pour se faire élire Empereurs; se dit figurément en choses morales; Dieu a répandu bien des grâces sur cette famille. Cette acception ne se rejoint-elle pas à l'expression d'A. Le Maistre: Dieu qui répand des aveuglements et des ténèbres sur les passions illégitimes? Quand Dieu répand, l'intention n'est pas humaine mais divine. Le traducteur Shiokawa aurait eu bien raison de traduire "répandre" par le mot 注ぐ sosogu, s'il avait su nettement marquer entre répandre et verser, sans perdre de vue l'ensemble du fragment. (Fin pour Une nouvelle traduction des Pensées de Pascal).

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