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Philologie d'Orient et d'Occident
30 août 2016

Une nouvelle traduction des Pensées (3)

Philologie d'Orient et d'Occident (358)

                                         Le 30/08  2016  Tokyo    K.

Montaigne et Pascal (1)

Une nouvelle traduction des Pensées de Pascal (3)

イメージ 14

Pivoine par Misao Wada (cousu main)

 

   La langue de Pascal qui semble si détachée du spatio-temporel appartient cependant bien à son époque. Voici ce que dit Pascal de Montaigne.

    680-63. Montaigne. Les défauts de Montaigne sont grands. Mots lascifs. (…). Ses sentiments sur l’homicide volontaire, sur la mort. Il inspire une nonchalance du salut, sans crainte et sans repentir. Son livre n’étant pas fait pour porter à la piété, il n’y était pas obligé, mais on est toujours obligé de n’en point détourner. On peut excuser ses sentiments un peu libres et voluptueux en quelques rencontres de la vie - 730.331-  mais on ne peut excuser ses sentiments tout païens sur la mort. Car il faut renoncer à toute piété, si on ne veut au moins mourir chrétiennement. Or, il ne pense qu’à mourir lâchement et mollement par tout son livre. (Pascal Œuvres complètes, éd. Louis Lafuma, Paris Seuil 1963 p. 590)

   Ayant signalé une erreur de traduction dans: il n'y était pas obligé [selon le traducteur; (nous) on n'y est pas obligé], Matsumura Takeshi (cf. billet 356) en souligne une autre; (nous) on est toujours obligé de ne pas se détourner de la pitié. Le philologue dit qu'il fallait comprendre, comme les anciens traducteurs, on (les auteurs) est toujours obligé de ne pas écarter les lecteurs de la piété. (halshs-01220083, p. 12)

   Cette interprétation de nos anciens pose pourtant des problèmes. Que désigne ce pronom on ? Ne serait-ce pas (nous) les lecteurs plutôt que (nous) les auteurs ? S’il s’agit toujours de (nous) les auteurs (Montaigne, Pascal et autres), ils sont forcément exclus du complément implicite du verbe transitif détourner. Pascal, n'est-il donc pas du côté lecteur ?

   - - - - - - -

   Pascal n'a écrit ni en ancien français ni en moyen français. Mais sa langue conserve, comme il se doit, des traces du vieux français dont faisaient usage ses contemporains. La Fontaine (1621-1695), en particulier, en usait largement dans ses Fables.

   Pour le verbe pronominal des Fables, René Radouant dit: certains verbes, comme il arrivait fréquemment dans l'ancienne langue, se présentent avec ou sans pronom. On trouve dans La Fontaine mouvoir pour se mouvoir, V, 20, 22; fatiguer pour se fatiguer,XII, 22, 4; garder pour se garder, VIII, 6, 9. Inversement, le pronom figure dans: s'en courir, VIII, 2, 47; s'en manquer, VIII, 25, 4; se jouer, X, 11, 16; se railler, III, 16, 25; s'éclater, III, 1, 35. (Fables, Hachette 1929, p. 526)

   Voici un passage de la préface sur le traité du vide (1647): Les expériences qui nous en [de la nature] donnent l’intelligence multiplient continuellement; et comme elles sont les seuls principes de la physique, les conséquences multiplient à proportion (Pascal Œuvres complètes, éd. Louis Lafuma, Paris Seuil 1963, p. 231). Louis-Fernand Flutre pourvoit le verbe multiplier d'une note: multiplient : se multiplient (Pensées et opuscules, Hachette, 1935, p. 72).

   En ancien ou moyen français, de même qu'en grec homérique, la distinction du verbe transitif de l’intransitif n’était pas bien nette. Dans le Dictionnaire de l'ancien français (A. J. Greimas, Larousse, 1969), on n'avait que faire des sigles distinctifs (vt. vi.). Destorner (du latin médiéval distornare inexistant en latin classique) signifiait, entre autres, «éviter, se garer de [= se préserver de. L'excellent Dictionnnaire du français médiéval (Matsumura Takeshi, Belles Lettres, 2015) fait état de destorner intransitif dans le sens de se dérober: Ne pot desturner ne guenchir (Marie de France) [= Il ne put se dérober ni s'esquiver] 

   Dans ces conditions, n'est-on pas en droit d'interpréter la phrase en question: on est toujours obligé de ne s'en point détourner, c'est-à-dire, nous (les lecteurs), on est toujours obligé de ne pas s'écarter de la piété?

   Si l'expression elliptique ou brachylogique «n'en point détourner» peut équivaloir à la pronominale réfléchie «ne s'en point détourner», la phrase en question pourra diamétralement changer de sens. Pascal, tout en critiquant Montaigne en grands termes (les défauts de Montaigne sont grands) et tout en dénonçant ses méfaits sans pitié, se fait parfois moins intransigeant et moins dur envers son maître à penser. Ne se garde-t-il pas de lui reprocher, par un terme trop explicite (détourner transitif), d'éloigner les lecteurs de la piété? Ne craint-il pas plutôt, lui-même lecteur, de s'en écarter ? (La suite au 13 / 09)

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