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Philologie d'Orient et d'Occident
12 avril 2016

Métrique et étymologie (5) "Feu" chinois

Philologie d'Orient et d'Occident (348)    Le 12/04/2016  Tokyo  K.

Métrique et étymologie (5)  Comment on désigne "feu" en grec et en chinois

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Diphylleia cymosa par Misao Wada (cousu main)

 

    Une analyse de l'i long en grec homérique a abouti à une hypothèse qui permettrait de supposer que le grec et le chinois avaient une représentation commune de l'idée de "respect" (cf. billet 347). Voici une autre éventualité.

    Il s'agit de "feu": pῦr en grec et huŏ en pékinois moderne. Ce dernier se disait, en chinois archaïque (3000 ~ 2000 BP), m̥uə̆r, qui devient, en passant par les étapes hua, ka, ko en go-on (parler du sud du IIIe au VIe siècle) et en kan-on (cf. billet 8) ainsi qu'en chinois de Tang (du VIIe au Xe siècle), huo / huǝ au Moyen Âge et finalement huŏ en pékinois. L'unité vocalique -uə̆r fait rime, composée de u voyelle d'intervention (semi-voyelle), ə̆ voyelle de noyau, r queue de rime. L'essentiel de m̥uə̆r est donc m̥ə̆ (cf. billet 19).

   On sait qu'en chinois archaïque, la consonne initiale m pouvait alterner avec une autre labiale: (m)b. Il s'agit d'un résultat de la dénasalisation qui était alors en cours. Ainsi, "cheval" en haute antiquité (dynasties Shang, Zhou, Han), me "cheval" en go-on, ba en kan-on et en chinois du nord à l'époque des Sui-Tang (du VIe au début du Xe siècle), reconverti en en pékinois actuel. Pour muǝg "prune", le processus est: > mbuǝi / bai > mǝi > méi.

   Entré en contact avec le cheval et la prune aux premiers siècles, le japonais a fait siens les mots: (u)ma "cheval" et (u)me "prune" (go-on); les composés utilisent en revanche l'autre labiale b-: ba- pour désigner l'animal, bai- pour le fruit: ba-ba "hippodrome"; bai-rin "parc aux pruniers".

    Or, la labiale b- peut permuter un peu partout avec p-, et souvent avec h-. Chantraine, Beekes et d'autres étymologistes s'accordent pour lier pῦr au hittite: paḫḫur. Beekes établit son étymon indo-européen avec une laryngale: *peh2-ur, c'est-à-dire, *pāur.

   Les deux mots *pāur et m̥uə̆r, aussi invraisemblable qu'il paraisse, devaient partager, à une date lointaine, la même origine, En passant par les étapes: m- > (m)b- > (m)p- > p(h)- > (p)h- > h,  la mutation de m en h n'a rien d'irrégulier. Le Dictionnaire chinois-japonais Tôdô (Gakken, 1978) trace l'évolution de m̥uə̆r "feu" en quatre étapes: m̥uə̆r- hua - huo - huǝ (huŏ). Entre-temps, la consonne h (+ V) avait produit ka- / ko-.

   Si on compare le couple *pāur / m̥uə̆r avec l'autre couple - /*kwei-, on voit qu'il est plus aisé de rapprocher une labiale (p) d'une autre labiale (m) qu'une dentale (t- de τίω) d'une gutturale (kw- de kwei-) (cf. billet 347). 

    On ne sait pas exactement si, dans la langue japonaise, hi "feu" est un mot emprunté. Dans le Grand Dictionnaire de la langue japonaise (Shôgakkan, 1972), l'hypothèse ne se présente que dans une note brève et discrète. On veut différencier le japonais hi /-ho "feu" du chinois monosyllabique huŏ, en faisant état que le japonais dispose d'une riche gamme d'alternance: hi "feu" / bi / pi (hana-bi "feu d'artifice", ten-pi "poêle") /(p)ho (ho-kuchi "mèche", ho-ya "couvre-feu"), ka (ka-ji "incendie") / ko (ko-tatsu "chaufferette"), quoique tous ces éléments: hi, bi, pi, (p)ho, ka, ko peuvent provenir du chinois m̥uə̆r. 

   Dans le Dictionnaire Tôdô (1978), dans la colonne de kei, le mot 敬 "respect" (jìng en pékinois, kyô en go-on) figure parmi ses 142 idéogrammes homophones rangés en fonction de la complexité formelle. Or sur ses 142 idéogrammes se prononçant [kei], deux seulement (jĭng "vigilant" 警 kyô en go-on, jīng "s'alarmer" 驚 kyô en go-on) partageaient l'archaïque kıĕng (敬). Il faut remarquer que ces deux idéogrammes contiennent, dans leur structure, l'élément (警 = +言 "parole"; 驚 = +馬 "cheval"). Ces trois aboutissent en pékinois à l'unique jing, différenciés par l'intonation en jìng, jĭng et jīng. Les autres homophones kei, de provenance différente de kıĕng, ont tous abouti à d'autres résultats qu'à jing.  

   Il y eut une surcharge phonologique dans l'ancien chinois, perpétuée depuis trois milliers d'années par les idéogrammes. La pléthore de phonèmes n'avait cure du système complexe d'intonation qui caractérise le chinois actuel. Ce fameux système: sì shēng «quatre voix» (shi-sei en japonais - cf. billet 18), né au moment où l'ancienne langue était allégée d'excès phonologique, n'est pas des plus anciens. (À suivre)

 

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