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Philologie d'Orient et d'Occident
16 février 2016

La métrique et l'étymologie (1)

Philologie d'Orient et d'Occident (344)

La métrique et l'étymologie (1)   Le 16 / 02 / 2016   Tokyo  K.

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Sébastes par Misao Wada (cousu main)

   Le vers employé par Homère est l'hexamètre dactylique (le dactyle est la mesure [= le pied] formée d'une syllabe longue suivie de deux brèves): —∪∪/—∪∪/—∪∪/—∪∪/—∪∪/—— (ou —∪, ce pied étant appelé un trochée). Une longue (—) équivalant à deux brèves (∪∪), un autre hexamètre, composé de pieds spondaïques, est donc possible: —— /—— / —— / —— / —— / —— (ou —∪). Un dactyle (—∪∪) et un spondée (——), de la même valeur, peuvent en principe alterner.

   Dans l'hexamètre dactylique, l'alternance de syllabes longues et brèves d'un pied n'est possible que selon ces trois types: dactyle, spondée et trochée. Le trochée est seulement possible à la fin du vers. Des schémas rythmiques tels que: ∪∪∪(∪), —∪— ou ∪—∪ ne peuvent entrer dans un hexamètre. Un pied commence toujours par une longue. L'examen métrique du grec archaïque nécessite une reconnaissance du vocalisme de l'époque dont la détermination exacte est d'autant plus difficile que la langue homérique «présente un mélange complexe de particularités qui n'ont pas toutes la même origine» (Jean Bérard).

   Jean-Pierre Levet, éminent helléniste comparatiste français (cf. billet 343), m'a permis de me dégager d'une fausse simplification du problème à partir des sept signes vocaliques: α(ă, ā), ε(ĕ), η(ē), ι(ĭ, ī), ο(ŏ), ω(ō), υ (ŭ, ū, y, ȳ) qui devraient correspondre à dix (ou douze) phonèmes vocaliques. 

   Dans le schéma suivant, résumé de l'enseignement de M. Levet sur les phonèmes vocaliques, les erreurs en tout genre qui pourraient exister doivent être entièrement imputables à l'auteur du présent article.

   Quantité vocalique           Rendue par:  (exemples fournis par K.)

      ă         - - - - - - - - - - - - - - -     α

       ā  (par nature ou par position) - - α        (λής «rassemblé», κρος «sommet»)

       ĕ       - - - - - - - - - - - - - - - -     ε

       ē  (ouvert)   - - - - - - - - - - -     η  

       ē  (fermé)  - - - - - - - - - - - -     ει (qui peut aussi rendre la diphtongue [ei]:πείθω)

       ĭ      - - - - - - - - - - - - - - - - -    ι

       ī  (par nature ou par position)   -  ι         (ς «force», χθύς«poisson»)

       ŏ      - - - - - - - - - - - - - - - - -   ο

       ō   (ouvert)     - - - - -- - - - -     ω 

       ō   (fermé)     - - - - - - - - - -     οu (qui peut aussi rendre la diphtongue [ou]:ποῦ, δοῦπος)

       u        - - - - - - - - - - - - - -  -    (α)υ-, (ε)υ-, (η)υ-, (-o)-,

       ü (y),    - - - - - - - - - - - - - -      υ        (ἰχθύος, génitif sg.)

       ǖ (ȳ) (par nature ou position)  - -  υ        (χθύς, nominatif sg., ἀμύνω «préserver»)

   La graphie ει rend parfois la diphtongue [ei] mais souvent [ē] fermé; ου, non pas [ū] mais [ō] fermé, parfois la diphtongue [ou]. Les trois voyelles: α, ι, υ sont longues par nature ou facultativement par position: si elles se situent devant deux consonnes en puissance ou une des consonnes: λ, μ, ν, ρ, etc. L'intérêt de la lecture homérique est de pouvoir imaginer non seulement les premiers chocs entre Orient et Occident mais aussi entre deux régimes linguistiques, l'un au vieux fond archaïque composé d'un mélange dialectal, l'autre, métrique, qui semble extrinsèque (selon Chantraine et Bérard se référant à Antoine Meillet: Les Origines indo-européennes des mètres grecs, 1923). Il nous invite enfin à voir comment la métrique, supposée d'origine externe, peut nous éclairer sur l'état interne de la langue. 

   L'explication étymologique de u long du verbe à l'optatif ἀμύναι (L'Iliade, chant XV, v. 736) fournie dernièrement par Jean-Pierre Levet est fort instructive. Dans l'élément -μύναι constitutif du dernier pied du vers (schéma: —— ou —∪), la première syllabe (-μύ-) est métriquement longue. On peut supposer ici que la quantité de cette syllabe longue par nature et par position (devant ν de ναι) a été préparée par l'étymologie.

   De l'υ long à l'intérieur du vers? Voici trois cas dans le chant XV de l'Iliade:

   ὣς ἐδα/ΐζετο/ θυμς ἐ/νὶ στή/θεσσιν Ἀ/χαιῶν. (v. 629)

   (Ainsi était divisé le cœur des Achéens dans leur poitrine.)  

   ὅς ῥα τό/θ᾽ Ἕκτορι /κδος ὑ/πέρτερον/ ἐγγυά/λιξεν. (v. 644)

   (Ce fut celui-ci qui remit à Hector une gloire supérieure.) 

   νῆες ὅ/σαι πρῶ/ται εἰ/ρύατο·/ τοὶ δ᾽ ἐπέ/χυντο. (v. 654)

   (les navires qui étaient tirés les premiers. Eux s'y répandirent.)

   Au vers 629, θυ- de θυμς, première syllabe du pied, est longue par nature et par position (devant μ). Sa quantité semble déjà assurée par son étymologie (*dhuH-mo-, selon Beekes). Au vers 644, la quantité de κῦ- dans la même condition (première syllabe du pied) semble également appuyée par l'étymologie de κδος (*keud-s-, Beekes). Au vers 654, -(εί)ρύ-, première syllabe du pied, est donc longue. Beekes lui donne *ueru-. Selon Chantraine, pas d'étymologie satisfaisante. (À suivre)

      - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

   Le 16 février 2016. Aujourd'hui est, jour pour jour, le sixième anniversaire de mon blog inauguré le 16 février 2010. Je vous remercie, mes chers lecteurs, peu nombreux certes, mais lecteurs privilégiés. Je vous dédie ces 344 billets que j'ai continué de confectionner pendant six ans avec amour et passion dans la langue que j'aime le plus au monde. Omnia vincit amor (Bucoliques, 10, 69). Merci.   Tokyo  S. Kudo.

 

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Commentaires
X
Merci, M. Lorgnon Mélancolique. Ton commentaire me réjouit toujours. Oui, les extrêmes se rejoignent. Avec ce sujet actuel, j'essaie de montrer finalement que le chinois archaïque et le proto-grec ont quelques (beaucoup d') idées communes. Je suis tout à fait contre le courant actuel raciste-ségrégationniste du monde.
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L
La qualité ne se mesure pas à l'audience, fort heureusement! Longue vie à "Philologie d'orient et d'occident" qui sait croiser avec finesse et érudition les perspectives Est/Ouest et faire que, souvent, les extrêmes se rejoignent...
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