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Philologie d'Orient et d'Occident
14 avril 2015

Athos et Lemnos: une réalité homérique (4)

Philologie d'Orient et d'Occident (322)   Le 14/04/2015  Tokyo  K.   

Le Mont Athos et l'île de Lemnos

Une réalité homérique (4)

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Une île homérique près de Naples (photo par K. février 2013)

 

      ἐξ Ἀθόω δ᾽ ἐπὶ πόντον ἐβήσετο κυμαίνοντα,

      Λῆμνον δ᾽ εἰσαφίκανε, πόλιν θείοιο Θόαντος.

                   (Iliade: chant 14, vers 229-230, selon l'édition Alexis Pierron, Paris, Hachette 1869)

      De l'Athos, elle (Héra) s'avança sur la mer houleuse,

      Atteignit (l'île de) Lemnos, ville du divin Thoas .   (tr. K.)

 

   Pour l'évaluation de la distance entre le mont Athos et l'île de Lemnos, on peut lire sur le site de Wikipédia une petite description intéressante par Jean-Baptiste M. d'Anville (1697-1782), géographe français du siècle des Lumières et secrétaire du Duc d'Orléans:

   De là, concluons, que les 86 ou 87 milles, ou les 700 stades, marqués pour la distance entre Lemnos et le mont Athos faisant ombre sur le coin de cette île, ne doivent s'estimer qu'environ 35000 toises; et ce que cette évaluation a de plus que celle qui se tire des 300 stades d'Étienne de Byzance, se concilie par la distinction de deux termes différents dans la distance. (De la Carte intitulé Les Côtes de la Grèce et l'Archipel, de l'Académie Royale des Inscription et des Belles-Lettres, et de celle des Sciences de Pétersbourg, Paris. De l'Imprimerie Royale, 1762, p. 31)

   Sa conclusion aurait été acquise par les calculs trigonométriques. L'inconvénient vient du fait que le géomètre employait pour la description trois anciennes mesures de longueur: mille, stade et toise. Le système métrique, dont la conception a été légalisée en France lors de la Révolution, n'a été mis en pratique que dans la dernière moitié du XIXe siècle, donc bien après la mort du géographe.  

   Le rigoureux système est un grand bienfait apporté à l'humanité par les Français. Son utilité pratique est supérieure aux dogmes de la Révolution: la liberté, l'égalité et la fraternité ainsi que leurs corollaires prosaïques: libéralisme, individualisme et laïcité. Le siècle n'était pas seulement éclairé par des philosophes mais aussi par des géographes.

   Pour la mesure mille selon M. d'Anville, homme d'ancien régime, nous pensons qu'il vaut mieux nous reporter au mille romain (= 1482 m) plutôt qu'au mile britannique (1609 m) ou qu'au mille maritime ou en navigation aérienne (= 1852 m). Les 86 ou 87 milles du géographe devaient donc représenter respectivement: 127.5 km et 128.9 km (128.2 km en moyenne). Un stade, quoique variant selon les régions, mesure 177 m (attique) ou 192 m (olympique). 700 stades équivalent donc entre 123.9 et 134.4 km (129. 2 en moyenne). Pour les anciens, l'Égée était une mer immense, un océan.

    Une toise valant 1.949 m, la distance évaluée (35000 toises) par l'arpenteur français se traduit donc en 68.2 km environ. Cette évaluation, dit M. d'Anville, est supérieure à celle estimée (300 stades = entre 53.1 et 57.6  km) par Étienne de Byzance, grammairien de grec au VIe siècle.

    Or, selon Francis Vian (cf. billet 320), commentateur moderne des Argonautiques d'Apollonios de Rhodes, «l'Athos culmine à 1935 m et se trouve à 80 km du Kastro (Myrina) de Lemnos» (éd. Les Belles Lettres, Paris 1974, p. 78). Entre-temps, nous avons noté, dans le billet 319, que, pour la distance, on convenait de 70 km, et qu'on pouvait même évaluer l'intervalle dans un atlas (The Times concise Atlas of the World  London 1986) à 65 km.

   Quelle conclusion peut-on tirer de ces détails? Presque rien sauf qu'on pourra rejeter l'évaluation exagérée qui dépasse 120 km.  On peut aussi se méfier de l'estimation de 80 km par Francis Vian, car il fait culminer le mont Athos à 1935 m, le situant à près de 100 m plus bas que l'Athos actuel (2033 m). L'Athos n'est pas un volcan en activité.

   Frappé par l'exactitude du géographe du XVIIIe siècle, on est également impressionné de ce qu'était pour les anciens la notion de l'espace et du temps. La divinité pouvait survoler 250 km en une demi-journée, par l'intérieur du pays, de l'Olympe au mont Athos, et le soir, Héra atteignait Lemnos, telle, le rayon de soleil couchant, alors qu'aux mortels Argonautes, il fallait naviguer sur mer toute une matinée pour parcourir trois enjambées divines.  (À suivre)

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