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Philologie d'Orient et d'Occident
23 décembre 2014

Shimazaki Tôson à Limoges (6) L'œil qui parle

Philologie d'Orient et d'Occident (311) Le 23/12/2014 Tokyo K.   

Voici cent ans: L'œil qui parle. Shimazaki Tôson à Limoges en 1914 (6)  

Notre Dame de la Préservation

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Notre Dame de la Préservation et la cathédrale Saint-Étienne, Limoges (photo par K.)

   Le 17 septembre 1914, une vingtaine de jours avaient passé depuis son arrivée fin août à Limoges, chez Mme Mathelin, sœur de sa logeuse parisienne Mme Marie Simonet, et Shimazaki savait déjà, par des nouvelles qui venaient des amis de son pays à Paris, de quelle manière et dans quelle direction ses "villageois" (cf. billet 310) avaient essayé de s'éloigner de la capitale menacée d'encerclement allemand.    

   Sur une vingtaine de résidents à Paris, «treize se sont retirés à Londres, un aux États-Unis par Marseille, deux à Nice, cinq à Lyon. Pour le moment, Londres poserait le moins de problèmes de liberté pour nos compatriotes. Ces informations, aussitôt arrivées à Paris, font augmenter le nombre d'évadés vers Londres. Ceux qui étaient en Allemagne auraient également reflué, pour la plupart, vers Londres. On entend dire que, déjà, la capitale britannique ne veut plus voir débarquer des fugitifs étrangers» (Œuvres complètes Shimazaki Tôson, vol 17, Tokyo, Chikuma-Shobô, 1968, p. 219, tr. K.).

   De ces nouvelles, Shimazaki fit état à deux amis de son âge, employés au quotidien Yomiuri envers lequel Shimazaki avait une obligation: Tokuda Shûsei (1872-1943) et Kamitsukasa Shôken (1874-1947), tous deux journalistes de profession et écrivains de tendance naturaliste.

   «Notre adresse est la suivante - Chez Mme Mathelin, 41, Chemin de Babylone, Limoges, France. À la campagne, je partage avec Masamune Tokusaburô cette même pension. Nous sommes venus ici au moment où Paris n'était pas encore aussi troublée. [Ici] on entend presque tous les jours parler des blessés, des morts au champ d'honneur. Tous les Français valides, âgés de 18 à 46 ans, sont appelés sous les drapeaux. C'est pitié de voir la vie s'en aller des créateurs du monde artistique et scientifique ! (ibid. tr. K.)

   Selon une statistique disponible sur Internet (wikipedia), l'ampleur des pertes humaines fançaises dans la Grande Guerre est à ne pas y croire: 27 % des jeunes Français âgés de 18-27 ont été anéantis, alors que, selon la même source, les pertes du Japon, pays allié, étaient de toute autre mesure: 415 victimes et 907 blessés uniquement militaires. À l'époque, ni Shimazaki, ni personne d'autre, n'avait d'idée exacte de la catastrophe.

  Masamune Tokusaburô, son compagnon de voyage (cf. billet 308), était frère cadet d'un écrivain protestant, Masamune Hakutyô (1879-1962). Ce dernier, avec ses débuts comme journaliste (au quotidien Yomiuri), s'était déjà fait en 1914 la réputation d'un grand romancier. Shimazaki le connaissait bien avant qu'il ne rencontrât à Paris son frère peintre, Tokusaburô. Le protestantisme teinté de socialisme était leur dénominateur commun qui aurait lié d'une reconnaissance tacite ces deux hommes de lettres.

   Près de la Place Jourdan, à l’angle de l’avenue (dite actuellement) du Général de Gaulle et du cours Jourdan par où Shimazaki devait avoir flâné, il avait certainement aperçu à l'époque un grand monument commémoratif de la guerre 1870-1871 qui avait été inauguré en 1895. N'en ayant rien dit dans ses Étrangers, il a laissé une description inoubliable de la chapelle Notre Dame de la Préservation, boulevard de la Corderie.

   L'auteur du présent article se permet de citer son ancienne traduction légèrement retouchée d'un passage du chapitre 68 des Étrangers:

   «La ville de Limoges, pour les yeux habitués à Paris, est une ancienne ville seigneuriale. Elle me rappelle vaguement notre ville de Matsumoto [capitale du pays de Shinano]. La cathédrale Saint-Étienne, visible même depuis l'hôtel de la gare, est un grand édifice de pierre, devant lequel nous venions de passer. Une petite chapelle portant une croix gravée dans le coin d'une ruelle qui remonte vers l'église [la cathédrale] nous rappelait qu'il s'agissait bien d'un pays de religion catholique. (...) Nous avons vu aussi, sous l'ombre des feux flottants des cierges alignés devant la chapelle, une jeune femme vêtue en noir, agenouillée sur le perron, en prière pour un être cher parti au front, semblait-il.» (Le Murmure de la Vienne in Tôzai III, Pulim, Limoges, 1998, p. 199-200, tr. K.). (À suivre)

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Commentaires
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Merci de votre renseignement sur l'"abattage en masse". Comment peut-on se procuer ce texte ? Vos URL ne fonctionnent pas. Il faut aller directement au site Marcel Cohen? K.
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L
Concernant les pertes en vies humaines ("abattage de masse") occasionnées par les deux guerres mondiales du XXe siècle et leurs conséquences (et avatars) actuels, je ne saurais assez recommander la lecture de "À des années-lumières", le texte d'une conférence de Marcel Cohen, donnée en 1998 à Dunkerque et parue dans une version augmentée, aux éditions Fario. Voir le compte-rendu de Mediapart : blogs.mediapart.fr/edition/aux-lecteurs.../marcel-cohen-des-annees-lumiere
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