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Philologie d'Orient et d'Occident
16 décembre 2014

Shimazaki Tôson à Limoges (5) L'œil qui parle

Philologie d'Orient et d'Occident (310) Le 16/12/2014 Tokyo K.   

Voici cent ans:    

 L'œil qui parle. Shimazaki Tôson à Limoges en 1914 (5)L'emprunteur

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Camélias d'hiver par Misao Wada (cousu main)

   Le plus âgé du groupe des «Étrangers» à Paris, Shimazaki, à 43 ans, assumait le rôle, malgré lui sans doute, de maire du village. La communauté était composée de boursiers réguliers et d'étudiants des beaux-arts. Ces derniers composants surtout ne vivaient pas sans souci pécuniaire. La plupart étaient, sinon dans la dèche, loin de l'aisance financière.

   En temps de paix, un esprit de solidarité et de convivialité les empêchait de sombrer dans des idées noires qui viennent souvent aux solitaires résidant dans une grande ville. Le Paris de Tôson n'était pas le Londres de Sôseki (cf. billet 307).

   Shimazaki, quoique passant pour un grand homme de lettres dans la communauté japonaise de Paris, était loin d'être riche. Les frais du voyage et du séjour de deux ans et demi à Paris, de 2 000 à 2 500  yen de l'époque (équivalant en gros à 2 400 000 à 3 000 000 yen actuels), étaient fournis par une maison d'éditions sous forme d'acompte sur ses droits d'auteur. Il avait noué en outre avec deux grands quotidiens: Tokyo-Asahi et Yomiuri, un contrat d'entrefilets dont la rédaction lui permettait de toucher des honoraires.

   Son veuvage prolongé, il lui fallait pourvoir à deux ménages, au sien chez Mme Simonet, 86, Boulevard [de] Port Royal, Paris (cf. Œuvres complètes Shimazaki Tôson, vol 17, Tokyo, Chikuma-Shobô, 1968, p. 207) et surtout aux besoins de ses enfants, privés de leur mère, confiés chez ses frères et sœurs à Tokyo, qui ne vivaient pas non plus dans l'opulence. Ses ressources n'ont jamais été suffisantes.

   Avant de venir en France, il a souvent été à court d'argent. C'était un poète nécessiteux. C'est pitié de le voir, tel la cigale des Fables, réduit à aller demander de l'argent à ses frères, à ses beaux-frères ou à ses connaissances. Originaire d'une vieille famille provinciale (son père était mort fou - on reviendra plus tard là-dessus), il avait de quoi souffrir.

   Emprunter de l'argent était en quelque sorte le lot des artistes d'avant-garde ou, tout simplement, des poètes-écrivains modernes du Japon. Il est émouvant de voir quelques mécènes surgir pour soutenir Shimazaki chaque fois qu'il se trouvait dans de beaux draps. La personne à qui il a le plus souvent eu recours était Kôzu Takeshi (1882-1946), d'une grande famille industrielle, futur banquier du pays de Shinano, voisin, au nord-est, de celui de Shimazaki, Kiso [kiso].

   Le talent littéraire de Shimazaki a captivé Takeshi, dès qu'ils se sont rencontrés pour la première fois en 1903 à Komoro de Shinano, où Shimazaki était enseignant. Le jeune homme, de dix ans de moins que Shimazaki, était très cultivé et grand amateur de poésie. C'est Takeshi qui allait financer le premier roman de Shimazaki: Hakaï (1906) «l'Apostasie», où se jouait la vie d'un jeune instituteur, un paria, qui ne pouvait s'avouer tel devant ses élèves qu'en quittant son école. Le livre, dont le sujet n'intéresse plus personne, eut un grand succès dans tout le pays. Le thème état alors d'actualité. 

   L'échange épistolaire qui s'intensifiait entre les deux depuis leur rencontre en 1903 à Komoro, se poursuivait en France. Le 17 juin 1914, juste un mois avant le déclenchement des hostilités France-Allemagne, Shimazaki envoya à Kôzu Takeshi, une longue missive dans laquelle, faisant savoir qu'une subvention promise de 500 yen (600 000 yen actuels) de la part d'un ami n'étant pas réalisée, il souhaiterait que Takeshi veuille bien lui envoyer 60 yen (72 000 yen actuels) à l'adresse de son frère à Tokyo chez qui ses enfants étaient confiés (cf. ibid. p. 215-220).

   Le fidèle admirateur exécuta aussitôt la demande de Shimazaki, qui lui répondit de Limoges, trois mois plus tard le 13 novembre 1914 juste avant de partir pour Paris par Bordeaux (cf. billet 306), avec deux cartes postales en guise d'accusé de réception et en remerciements.

   Ses emprunts à Takeshi se sont poursuivis à Paris jusqu'à ce qu'il quittât définitivement la France. 200 yen (240 000 yen ac.) le 17 juin 1915, réception le 28 septembre 1915. 70 yen (84 000 yen ac.) le 31 janvier 1916, réception le 29 avril 1916. (À suivre)

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