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Philologie d'Orient et d'Occident
25 novembre 2014

Shimazaki Tôson à Limoges (2) L'œil qui parle

Philologie d'Orient et d'Occident (307) Le 25/11/2014  Tokyo K.   

Voici cent ans:

L'œil qui parle. Shimazaki Tôson à Limoges en 1914 (2)

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Cathédrale St Étienne de Limoges en 2006 (photo par K.)

   En 1943, au milieu de la guerre Pacifique (1941-1945), Shimazaki Tôson s'est éteint à l'âge de 71 ans. Depuis lors, aucun lycéen ni collégien japonais n'ignore son nom, qui forme avec Natsume Sôseki (1867-1916) et Mori Ôgaï (1862-1922) le trio littéraire du Japon moderne.

   Pour accélérer l'ouverture du pays, le gouvernement Meiji (1869-1912) fit venir des intellectuels étrangers: ingénieurs, juristes et instructeurs, tout en favorisant en même temps les études en Europe. Les bourses du gouvernement, d'un nombre restreint, n'étaient pas destinées aux jeunes mais aux adultes déjà lancés dans une carrière.

   Natsume Sôseki, professeur de la littérature anglaise, se vit obligé (car il ne le souhaitait pas) de se rendre à Londres en 1900, sur ses 33 ans. Mélancolique et névropathe, il restait enfermé la plupart du temps dans son appartement londonien au lieu d'aller travailler dans les universités. Il rentra à Tokyo en 1902, fatigué, fourbu de deux ans et demi de séjour dans la capitale britannique.

   Par contre, Mori Ôgaï, jeune médecin militaire, stagiaire pimpant et entreprenant, passa quatre ans (1884-1888) égayés de nombreuses amitiés et d'amourettes, dans les grandes villes d'Allemagne, d'abord à Leipzig, ensuite à Dresde, à Munich et enfin à Berlin.

  Dans son voyage en France, Shimazaki Tôson faisait contraste avec ces précédents, tous les deux voyageurs aux frais de la princesse. Son voyage en France, à l'âge de quarante-et-un ans, fut en quelque sorte un exil auquel il était acculé par une grave crise morale. Un remords qui tenait aux conséquences de son amour, pendant son veuvage, pour une de ses nièces, le tenaillait, le rongeait. Le fait stigmatisait définitivement à l'époque et flétrissait ce poète au point qu'il décidât de s'expatrier à l'étranger.

   Il avait quitté son église protestante à l'âge de 22 ans à la suite d'une affaire amoureuse (déjà!). Homme originaire d'une ancienne province du Japon, il lui était reproché de s'être liée d'amour avec une des étudiantes d'une école des filles où il enseignait. Ces choses n'étaient pas tolérées à l'époque et la responsabilité en incombait toujours à l'homme. Les deux sexes n'étaient pas égaux, de loin.

   Pourtant il aurait toujours gardé la foi ainsi que le sens de responsabilité d'un homme traditionnel. Sa venue en France en 1913 ne le portait donc pas sur la trace des nouveautés occidentales, mais à la recherche du salut de son âme torturée.

   En 1914, il quitte Paris de crainte de voir la ville assiégée, avec le cœur toujours inquiet dans la capitale, tenaillé de douleurs et d'appréhensions pour ceux qu'il avait aimés et laissés là-bas dans son pays. Et le voilà dans la préfecture de la Haute-Vienne.

   «Route de Babylone, Limoges, Haute-Vienne, France. Voilà où était située la maison de la sœur de Mme Simonnet*.» (Shimazaki, Etrangers, Tokyo, Chikuma, 1957, chap. 68, p. 139). «Nous attendait là une maison rustique à la française avec, dans le jardin d'entrée, un treillis de raisins et des lauriers dessous. À l'entrée, nous avons été rejoints par Mme Simonnet et Marguerite (cf. billet 306). La sœur de Mme Simonnet, qu'on appelait Mamie Mathelin, femme de petite taille, habillée de noir à la française, fit son apparition à l'entrée de la cuisine pour nous accueillir. Elle saluait, chacun de nous, chaque fois que Mme Simonnet nous présentait à elle, doucement et d'une élégance toute féminine. (ibid. chap. 67, p. 139, tr. K.) (...)

   Après avoir déjeuné à la maison de Mme Mathelin, ils se rendent dans un hôtel devant la gare. Car, chez elle, leurs chambres ne seraient encore prêtes que le lendemain.

   «Une nuit passée à l'hôtel. Le matin, la tour du temple St Etienne en vue en dehors de la fenêtre, un chant de coq inattendu me frappa à l'oreille. La ville ne serait pas seulement connue pour sa production de porcelaine, mais aussi pour la garnison du VIe régiment. Une sonnerie de clairon de la caserne se fit entendre dans le brouillard matinal.» (ibid.)

N.D.A. * C'est dans l'orthographe Simonet que Shimazaki transmit, en juin 1914, son adresse parisienne au quotidien Yomiuri (Œuvres complètes Shimazaki Tôson, vol 17, Tokyo, Chikuma-Shobô, 1968, p. 207).

(À suivre)

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