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Philologie d'Orient et d'Occident
22 avril 2014

Le N-E et l'Empire (8) - Étymo. Urup (Fin)

Philologie d'Orient et d'Occident (276)

                                        Le 22/04/2014         Tokyo    K.

L'empire du Japon : son essor et ses limites (1)

L'étymologie Urup (Fin)

001042 Une palette de Misao Wada

 

   Le royaume de Koguryeo exista du Ier siècle B. C. au VIIe siècle A. D, conjointement ou succédant au royaume toungouse Buyeo, sur un territoire étendu du nord de la péninsule coréenne à l'est de la Mandchourie, en direction de la Sibérie. Vouloir chercher, comme l'a fait Jared Diamond (cf. billet 275), l'origine du japonais actuel dans le coréen de Koguryeo se ramènerait à prétendre que la langue japonaise était d'origine continentale, toungouse. Au lieu de nous opposer à cette thèse, essayons d'y souscrire pour un instant.

   L'idée du savant américain peut donner à l'étymologie Urup un contour plus clair. Non seulement dans l'archipel, mais dans le Hokkaido, Sakhaline ou même dans les Kouriles, la langue utilisée ne pouvait être unique mais plurielle. Le contact, au VIIe siècle A. D., des Aïnou avec une tribu toungouse (Mishihase) est ainsi mieux compris. Les groupes de Hokkaidô (Aïnou et Mishihase), utilisateurs d'idiomes différents, se contentaient d'une communication particulière, le troc muet (cf. billet 245). L'anéantissement des Mishihase survenu en 660 selon le Nihon-Shoki (720) était dû à l'intervention de la puissante flotte japonaise.

   Je n'ai pu approuver l'appartenance du toponyme Urup à l'aïnou (cf. billet 275). Urup était-il alors toungouse, c'est-à-dire, ancien japonais, selon J. Diamond, dont on a complètement oublié le sens ? En kanji, le mot était rendu dès le XVIIIe siècle en 得撫 [urubu ou urufu]. Cette transcription au sens peu clair tient compte qu'on ne connaissait pas l'étymologie du toponyme. On sait maintenant très peu de chose sur cette langue sans écriture qui se serait muée, selon J. Diamond, en japonais moderne. À l'inconnu rien n'est tenu. Même l'étymologie. Au lieu de chercher à voir urup ou iturup dans le lexique toungouse, ancien coréen maintenant disparu, on va essayer, une fois pour toutes, d'explorer le champ aïnou.

   Pour Iturup (Itouroup en français, Etorofu en japonais, Итуруп (Iturup) en russe et Etoropo en aïnou selon Mme Tamura - cf. billet 268) dont le dénominateur commun -urup (sauf en japonais et en aïnou) m'intrigue toujours, la transcription traditionnelle 択捉 - mesure d'espace - n'est autre qu'une devinette ainsi qu'un non-sens aux Japonais non initiés au secret des idéogrammes.

   Yoshida Tôgo, le grand toponymiste de Meiji, lui donne l'étymologie aïnou: etoro «nez» + fu «lieu», hypothèse du commis voyageur Matsuura Takeshirô (Grand dictionnaire de noms de lieux japonais, Tokyo, Fuzambô, édition augmentée en 1970, vol 8, p. 370). Le nom de l'île viendrait, selon Matsuura, d'un rocher semblable à un nez qui a de la morve.

   Dans son excellent dictionnaire aïnou (1996), Mme Tamura présente la graphie aïnou Etoropo sans lui donner d'étymologie. Cependant elle en fournit la clé: «nez» etor  (générique) / etori(hi) (défini) et la particule hypocoristique -po. Pour Urup, j'ai deux étymologies aïnou dont le sens revient au même: ur(ar) «brouillard» + up(as) «neige»; u(rar) + ru «fondre, dégeler» + p(e) «chose» = givre, frimas. L'île aux frimas serait une belle contrepartie de l'Islande. Tout est possible à un habitué à l'étymologie proustienne: Doncières < Dominus Cyriacus ; Vivonne < Vicus Vedonencis (cf. billet 68).

   Incapables de rendre compte de la vieille langue sans écriture, ces étymologies n'inspirent pas de confiance. Une fausse étymologie peut altérer la langue. Je pense au changement: it(V)- en et(V)- qui a effacé le lien et accusé la différence entre Urup(pu) et Etorofu qui devaient être en parallèle avec l'élément commun urup.

   Les Toungouses étaient une grande peuplade du continent asiatique du nord-est. Il faut souligner que la formation du toungouse ainsi que de l'aïnou, langues éminemment paléo-eurasiatiques, devait précéder à l'éclatement de l'indo-européen en langues séparées (selon J.-P. Levet). C'est là que, jadis, Pierre Naert ne songeait pas (cf. billets 202, 204).

   Mes petites investigations à propos du nom d'une île du nord du Japon étaient parties de deux constatations: pourquoi Urup et Iturup ont l'air de se ressembler? Pourquoi ce nom Urup, qui m'évoque Europe, semble se distinguer des autres noms des Kouriles? Je n'ai pas finalement bonne réponse à ces questions. Mais le travail m'a beaucoup enrichi: je crois à la leçon du paysan de La Fontaine (Fables V, 9. Le Laboureur et ses Enfants). (Pause)

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