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Philologie d'Orient et d'Occident
24 septembre 2013

Le Tôhoku (18) Le nord-est contre l'empire (2)

Philologie d'Orient et d'Occident (246)

                           Le 24/09/2013, Tokyo    K.

Le nord-est contre l'empire (2)     Le Tôhoku (18)

 

                                                           DSC_0023

                                                           Crêtes-de-coq par Misao Wada

 

   Le 50e empereur Kanmu 桓武 marqua en 794 la fin de l'époque Nara par le transfert de la capitale impériale de Nara à Kyoto. Son règne de 25 ans, dit Enryaku 延暦, commença dès l'an 782 du calendrier chrétien. C'est Kanmu qui ordonna la compilation en chinois du Shoku-Nihongi 続日本紀 (achevé en 791), la seconde des six chroniques officielles de l'empire Rikkoku-shi (cf. billets 113, 124) qui devait relayer le Nihon-shoki compilé en 720.

   Le 10 mars (calendrier lunaire) de la huitième année de son règne, un important contingent de l'armée impériale fut réuni aux confins nord-est de l'empire. Le Shoku-Nihongi fit état de ces manœuvres militaires:

   «諸国軍會於陸奥多賀城分道入賊地 toute l'armée de l'empire, réunie sous la citadelle Taga du pays de Mutsu, pénétra par plusieurs chemins dans le pays des rebelles (tr. par K.)» (Shoku-Nihongi, Tokyo, Yoshikawa-kôbun-kan, 1982, vol. 2, p. 534).

   Le bien-fondé de l'opération avait été garanti à l'empire de la fin de l'époque Nara par le sanctuaire Isé 伊勢神宮, le plus haut placé des temples de la famille impériale sis à Isé, sur la côte est de la péninsule Kiï 紀伊 à l'est de Nara, à 90 km à vol d'oiseau, et encore plus loin de Kyoto. Cette communication sur l'opération militaire est tout de suite suivie, dans le Shoku-Nihongi, d'une petite note datée du même 10 mars:

   «遣使奉幣帛於伊勢神宮。告征蝦夷之由也 on envoya au temple Isé un héraut pour l'informer qu'on irait combattre les Emishi, barbares de l'Est (tr. par K.)» (ibid.)

   Ces courtes phrases concernant l'opération militaire dans le nord-est, l'envoi du héraut impérial au temple Isé situé au loin de la capitale et la déclaration d'aller combattre les rebelles du nord-est, font présumer tout d'abord:

plus de cent ans d'effort de l'empire pour soumettre les gens du nord-est de l'archipel (cf. billet 245) n'ont abouti à rien de remarquable. Tant s'en faut, les soldats impériaux ne faisaient que reculer, leur armée que régresser.

   Car, la citadelle Taga, la plus importante des bases militaires du Tôhoku de l'époque, était située à l'extrémité sud du pays de Mutsu, c'est-à-dire, au nord du département actuel de Miyagi, à la frontière du département d'Iwate. La citadelle était localisée beaucoup plus au sud que Akita ou Tsugaru, deux régions dont la grande partie était officieusement acquise ou au moins censée être soumise (puisque le fait se devine dans le Nihon-shoki, la première chronique officielle).  

   Les Aïnou avaient-ils retrouvé leurs habitudes belliqueuses au point de reprendre l'esprit insoumis et rebelle? Les Aïnou sur la côte pacifique étaient-ils plus indépendants que leurs homologues riverains de la côte de la Mer du Japon ? Ou les exploits de l'amiral Abe-no Hirafu (cf. billet 245) avaient-ils été exagérés dans le Nihon-Shoki? Ou les colons envoyés du centre s'étaient-ils affiliés aux «barbares»? Toutes ces raisons sont possibles.

   Un autre mystère: quel était ce geste impérial d'envoyer un héraut pour annoncer l'expédition à son temple familial mais lointain, difficile d'accès? Dans l'histoire (cf. billet 125), l'empereur devait assumer en dernier ressort toute la responsabilité des événements de l'empire, humains et naturels: maladies incurables, chutes de cheval, grêles, foudres, incendies, éboulements de terre, éclipses solaires, apparitions de météore, morts prématurées des personnages illustres, pluies incessantes, sécheresses continuelles, assassinats mal élucidés ou cataclysmes: carences d'eau, épidémies, famines, inondations, séismes, tsunami et soulèvements de province.

   L'empereur devait régner sur tout. Il se devait d'être à la fois exorciste et conjurateur. Il lui fallait parer aux miasmes émanant des morts et préserver l'empire du mauvais sort. Il fallait continuer toutes les guerres engagées pour agrandir son empire jusqu'à ce qu'il y ait réussi. Pouvait-il parer à tous ces heurs et malheurs de l'empire? À l'expédition militaire, au transfert de la capitale? Sa responsabilité était telle qu'il avait à faire de son temple son coopérant, son complice. (À suivre)

 

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