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Philologie d'Orient et d'Occident
21 mai 2013

Le Tôhoku (1)

 

Philologie d'Orient et d'Occident (228)

                                      Le 21/05/2013, Tokyo     K.

                                      Ce que dit une carte postale arrivée du nord

                                                                Le Tôhoku (1)

 DSC_0034

Kakô Mandala (Mandala à 60 ans) par Misao Wada

 

   Début mai courant, il m'est parvenu une belle carte postale, sous enveloppe, de l'extrémité nord de l'archipel Nippon, Akita, mon pays, situé à plus de 700 km au nord de Tokyo. Je n'y vais que deux fois par an. Cette année, jusqu'ici, je n'ai pas encore mis les pieds au Tôhoku. La carte, une incitation plutôt qu'une invitation au voyage, m'était envoyée par une de mes anciennes connaissances, Mme T., excellente conteuse.

   Elle voyageait dans la région avec son mari, R. A., ancien archéologue converti en critique littéraire, spécialiste de Origuchi Shinobu (1887-1953) qui fut professeur d'ethnologie à l'université Keiô-Gijuku, Tokyo. Origuchi était un grand érudit inspiré, originaire d'Ôsaka, poète à la fois entiché d'archaïsme et rénovateur du 和歌 waka (d'où est né le haiku), ami et collègue de Nishiwaki Junzaburô (1894-1982, cf. billets 47-66).

   La presqu'île Oga (Oga-Hantô), qu'ont visitée les deux voyageurs, donnant sur la Mer du Japon, est connue pour une curieuse fête appelée namahagé en quoi j'ai longtemps compris écorcheur vif [nama «vif»  + hagu «écorcher, arracher»].

   Au dernier jour de l'année (autrefois, au nouvel an), deux hommes travestis en ogres à deux cornes, sauvagement masqués et en tenue barbare, font irruption dans tout foyer du village qui a de petits enfants. De maison en maison, semant la panique parmi les petits non avertis de ce qui allait se passer, les deux cannibales procèdent, en vérité, par ordre, et de connivence avec leurs parents qui, de leur côté, les accueillent pour leur servir plusieurs rasades de saké en récompense de leur peine consistant à forcer les enfants à s'orienter vers le travail et non pas vers la paresse.

   En hiver et dans le pays de neige, les ogres vêtus simplement de cordelettes ou d'une grossière bure de couleur voyante ou encore de haillons effilochés qui tombent en loques s'introduisent sans crier gare dans chaque habitation avec une panoplie de gros ustensiles de ménage d'ogres: massue, sceau, coutelas, gros sceptre de bois, et tambour pour menacer les petits fainéants jusqu'à ce que ces derniers leur promettent de bien travailler dorénavant.

   Dans cet ancien pays des Jômons, la paresse était un vice impardonnable qui fait produire, aux mains ou au devant des paresseux qui ne font que se dorloter au coin du feu, une épaisse couche de crasse (appelé, dans le dialecte, namomi) née de la brûlure à petit feu. Selon les uns, l'étymologie du mot namahage viendrait donc de namomi + hagi (nominal de hagu «râper, enlever»). Les ogres s'attribuent le rôle de chasser, des indolents, la paresse, pire forme de l'existence humaine. Car tout homme doit, tant qu'il est en vie, travailler selon son état.

   Mais cela n'a pas seulement lieu à Oga-Hantô: une fête similaire se pratique dans d'autres départements du nord ou sur la côte de la mer du Japon: Yamagata, Niigata, Ishikawa ou Fukui, quelques îles du sud-ouest, ou même dans la Chine intérieure. Quelle que soit l'étymologie du mot namahage, le terme est intraduisible dans le japonais du centre. Il faut le comprendre tel qu'il est. Cette fête n'est évidemment pas, comme celle de Takayama (cf. billet 121), dérivée des fêtes de Kyoto. On voit que l'ancienne langue japonaise s'est superposée à celle des indigènes du nord. La créolité de ces mœurs est évidente.

   La carte de Mme T. racontait autre chose. Dans un tortillard qui les emmenait à Oga-Hantô, ils ont rencontré un groupe de femmes d'un certain âge habitant les parages. Elles étaient sans doute femmes de paysans ou de pêcheurs de la région. Les deux citadins, Mme T, originaire d'Osaka, et son mari, du Kantô abritant la capitale Tokyo, n'auraient rien compris au «pépiement», c'est-à-dire, au bavardage de ces dames. Je m'en suis secrètement réjoui, car j'ai constaté que le dialecte, semblable au mien, était toujours vivant comme autrefois.

   Pour les comprendre, il faudra vivre au moins un an dans le pays, se familiariser avec elles. Il m'a fallu quatre ans pour m'habituer techniquement et mentalement au parler dingue de Tokyo (cf. billet 217).  (À suivre)

 

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