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Philologie d'Orient et d'Occident
23 octobre 2012

Le chat dans le pays des Aïnous

Philologie d'Orient et d'Occident (200)

                                       Le 23/10/2012, Tokyo     Kudo

 Le chat dans le pays des Aïnou

 

chat_wada

                                        Nora, chatte de Takayama, par Misao Wada (cousu main dans de vieux tissus). 

 

    Après avoir examiné un petit article de Pierre Naert (Quelques mots indo-européens à la lumière d'une langue exotique, Studia Linguistica IX, Lund. 1955, 76-9, où Naert annonçait déjà sa thèse indo-européenne en 1958), Olivier-Guy Tailleur dit:

 « p. 77, mik et mek ne sont pas identiques, malgré SLA (= La situation linguistique de l'aïnou 1958) 39: le premier signifie "aboyer" et le second "miauler", auquel peut se rattacher meko "chat", d'où (?) > jap. neko id.,» (Sur une explication de l'aïnou par l'indo-européen, 1961, repris in The Ainu Library,Tokyo, Synapse, 1998, coll. 2, vol 3). 

    Tailleur voulait-il tirer neko ("chat" japonais) de son homologue aïnou meko (< mek aïnou «miauler»)?  L'hypothèse qui prêtait à l'aïnou l'origine de neko ne correspondait à aucune des étymologies supposées dans le Grand Dictionnaire de la langue japonaise (Tokyo, Shôgakkan, 1976). Son étymologie de neko < meko me paraît invraisemblable.

    L'édition 1938 du Dictionnaire aïnou-japonais-anglais de Batchelor où Naert s'est massivement investi traduit meko par neko - cat (chat). Le dictionnaire aïnou de Mme Tamura (1996) du dialecte du centre-sud de Hokkaido ne fait aucune mention de neko ni de meko. Le Dictionnaire dialectal Hattori (1964), né de vastes enquêtes sur l'ensemble de Hokkaido, du sud de Sakhaline et des îles Kouriles, nous montre un curieux paysage de la géographie linguistique des noms du chat: neko ; meko ; capi [tchapi], cape  [tchape], cappe  [tchappe] dans Hokkaido ; kosuku  (emprunt au russe) à Kouriles. Quatre locuteurs indigènes sur dix avouent qu'ils ne connaissaient autrefois ni l'animal ni son nom. Les vocables en ca- [tcha-] font supposer qu'ils étaient de formation onomatopéique. On voit que la moitié des localités examinées ont longtemps manqué de désignation propre pour le chat.

    Il serait donc permis de supposer que, comme le mouton longtemps absent dans ce territoire (cf. billet 198), le chat n'était pas un animal autochtone. Le petit félin a été introduit de l'archipel nippon et sporadiquement par le nord du continent asiatique. Le neko ainou a été donc, contrairement à la supposition de Tailleur, emprunté au japonais.

    On ignore si l'aïnou meko «chat» était une transformation de neko japonais ou une formation de l'aïnou mek «miauler». Mais il est tout à fait probable que la morphologie aïnou de meko a été influencée par neko japonais. Car, suffixée, la particule aïnou -o ne rend pas agent mais définition: par «bouche» / par-o(ho) «la bouche de ...». Le -oho est un renforcement par répétition du suffixe -o.

    D'une dizaine d'étymologies de neko données dans le Grand Dictionnaire de la langue japonaise (op. cit.), une seule mérite d'être signalée. C'est celle, onomatopéique, qui vient du cri du chat: neu-neu. Le mot neko se rencontre déjà dans le tome Wakana 若菜 du Dit de Genji (XIe siècle).

    Dans le centre de l'archipel, les chats ne faisaient ni miaou miaou ni mew-mew ni miāo-miāo (à la chinoise) mais neu-neu. D'où le chinois māo "chat" < miāo; le japonais neko < ne(u)-ko. Le -ko hypocoristique (démonstratif à l'origine) dont l'emploi était partout généralisé dans l'archipel, est actuellement limité dans les provinces septentrionales du pays. L'ajout du suffixe -ko aux prénoms féminins est une survivance de ce démonstratif. Dans le nord, neko devenu générique, on peut lui ajouter, pour le particulariser, un autre -ko: neko-ko «mon petit chat».

    Les capi [tchapi], cape  [tchape], cappe  [tchappe] dans Hokkaido ne sont pas spécifiquement de l'aïnou. Selon le Grand dictionnaire du japonais dialectal (Tokyo, Shôgakkan, 1989), les formes en ca- [tcha-]: câ-ca [tchâ-tcha], cabbe [tchabbe], cape [tchape], canpe [tchãpe], cio [tsyo], cioppe [tyoppe] proviennent, toutes, des départements du nord-est: Aomori, Akita, Yamagata etc., anciens habitats aïnou parsemés de toponymes en -be (< -pe "rivière", "rive"), -nai "vallée" ou to- "lac" (To-wada < To-watara «lac aux falaises»). Les mots en ca- de l'archipel sont de la même origine que ceux de Hokkaido en ca-.

    Dans mon enfance (cf. billet 161), on disait cako [tchako] pour "chat". Sachant qu'en japonais standard, l'animal se disait neko, on évitait le terme. Le chat appelé neko me semblait manquer de substance.  (À suivre)

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Commentaires
C
Bravo pour ce deux-centième post! Vivement la suite !
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