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Philologie d'Orient et d'Occident
24 juillet 2012

Sakhaline, une aure patrie des Aïnou (2)

Philologie d'Orient et d'Occident (187)

Le 24/07/2012, Tokyo    K.

Sakhaline, une autre patrie des Aïnou (2)

À propos de la numération aïnou

 

    Pour le numéral 11, le Dictionnaire Hattori mentionne dix formes dialectales dont sept sont représentées dans une seule et même forme : sinep 'ikasma wanpe. Trois autres sont : sinepikasma (wanpe) à Asahikawa, au centre ouest de Hokkaido, où l'emploi de -wanpe serait facultatif : sineh 'ikasma wanpe à Sakhaline : shiné wambe kasuma aux îles Kouriles. À ces trois dernières, on peut ajouter un échantillon de Sakhaline, sans -wanpe, attesté dans l'article publié en 1917 de Berthold Laufer (cf. billet 186) : shinä ikashima.  

    L'auteur du Dictionnaire Hattori, Hattori Shirô (cf. billet 183), faisant état au lecteur de la qualité et de la nature des sources (il s'agit souvent d'un seul informateur pour chaque dialecte), dit avoir utilisé, pour le dialecte des Kouriles (en japonais, Chishima « mille îles »), la partie lexicale du livre Chishima Ainu « Aïnou des Kouriles » (Torii Ryûzô, Tokyo, Yoshikawa-kôbun-kan, 1903), en laquelle il n'avait pas entière confiance (Dictionnaire Hattori, p. 15).

    L'exemple de Sakhaline donné par Berthold Laufer, shinä ikashima, se distingue des autres (sauf celui d'Asahikawa) par l'absence de l'élément -wanpe. La forme des Kouriles : shiné wambe kasuma pourrait signifier d'abord qu'en aïnou, la différence entre sourd (p) et sonore (b) n'avait pas de sens et que, par conséquent, entre wanpe et wambe, n'existait, comme en coréen, aucune distinction phonologique.

    Avec kasuma au lieu de ikasma, on peut deviner que l'élément porteur de sens n'était ni i- « pronom au datif d'intérêt », ni -(o)ma « se trouver, être » (cf. billet 183) mais -kas(u)- « surpasser, dépasser ». Qui dépasse quoi ? C'est l'idée d'un nombre qui dépasse 10, nombre tangible, palpable qui se compose des dix doigts.

    Les formes standard, sinep ikasma wanpe pour 11; tup ikasma wanpe pour 12, devaient donc être interprétées : un dépassant dix, deux dépassant dix. Mais si le nombre 10 était toujours latent dans la numération avant 20, faudrait-il le redire chaque fois ? Non, évidemment. Les numéraux anglais : eleven (= einlif « un de dépassé»), twelve (= zwelif « deux de dépassé ») (cf. billet 185) en font foi.

    Le germanique einlif ou zwelif avait-il besoin à l'origine, pour être éclairci, de quelques formes abâtardies du latin decem (AHG. zehan, got. taihun, ou AA. tîen, teen etc.) ? Probablement pas. Je veux dire qu'il pouvait en être de même en aïnou. Le nom de nombre sinepikasma, à Asahikawa, sans suffixe wanpe, pouvait bien être une forme postérieurement tronquée de wanpe, alors shinä ikashima de Sakhaline n'était-elle pas une forme rénovée par rapport à sinep ikasma wanpe, forme conservatrice dans le Hokkaido périphérique ? Le h de sineh ('ikasma wanpe) à Sakhaline était une aspiration qui devait avoir résulté de la sourde labiale p. La forme des Kouriles shiné wambe kasuma, également, avec l'élément -kasu-, intact, pouvait être postérieure à sinep ikasma wanpe. Les mots se renouvellent plus rapidement dans le centre de diffusion qu'aux confins linguistiques. 

    Quand on a constamment une notion du nombre dix dans la tête, il suffit, pour composer un numéral entre 10 et 20, d'avoir une idée d'un nombre au-dessous de dix (1, 2, 3, 4 etc.,) et un petit signe signifiant qu'il s'agit d'un nombre « dépassant (dix) ». Pour dire 13 et 14, il suffit donc de présenter l'élément 3 = re(p) et le 4 = i(nep) et le signe = (i)kas(ma). D'où rep ikasma (wanpe) pour 13, inep ikasma (wanpe) pour 14. Les éléments minima seraient re- et -kas- pour 13, i- et -kas- pour 14. Mais jamais re-kas pour 13 ni i-kas pour 14, composés des éléments strictement nécessaires, n'a été produit. La langue a souvent besoin des fioritures qui l'étoffent.

    On peut enfin supposer que le berceau de la langue aïnou n'était pas toujours dans Hokkaido, anciennement appelé Ézo mais dans les régions plus au nord, Sakhaline ou les Kouriles qui étaient plus facilement accessibles au continent ou Kamtchatka, presqu'île située à l'extrémité orientale de la Sibérie. (À suivre)

    

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