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Philologie d'Orient et d'Occident
10 juillet 2012

La numération : aïnou et germanique

Philologie d'Orient et d'Occident (185)

                                                 Le 10/07/2012, Tokyo    K.

La numération aïnou et la numération germanique

La pensée physique (3)

 

     Kirsten Refsing (1948-), professeur de sociologie à Copenhague, à Hong Kong et au Japon, publia un petit commentaire de quatre pages, intitulé « Ainu and Koreans in Japan » (Asian Ethnicity, vol. 2, no 2, septembre 2001) sur deux livres traitant des minorités aïnou et coréenne (Honda Katsuichi, Kyoko Selden : An Ainu Woman's Tale, P.U. Californie, 2000 et Fukuoka Yasunori : Lives of Young Koreans in Japan, Melbourne, P.U. La Trobe, 2000).

    On peut, bien entendu, se passer de ce que dit Mme Refsing sur le livre de Honda Katsuichi (1932-), journaliste japonais de renom, pour savoir que les Aïnous n'étaient pas seulement chasseurs habiles et pêcheurs expérimentés d'eau douce mais aussi grands voyageurs sur terre et mer, négociant avec des peuplades voisines, c'est-à-dire, pas seulement avec les habitants de l'intérieur de l'archipel mais avec les continentaux du nord avec qui ils pouvaient facilement se lier. Le commerce du troc existait depuis belle lurette.

    L'auteur des plus anciennes annales du Japon, Nihon-Shoki (compilées en 720), relate déjà une mésaventure survenue à une tribu, probablement continentale, qui fut obligée de négocier, en sa défaveur, avec la troupe impériale expédiée à Hokkaido (vol. 26, à la VIe année du règne de l'Impératrice Saimei, en 660). Profitant d'un malentendu concernant les règles de troc, le chef de l'expédition impériale, Abe-no Hirafu, imperator, donna l'ordre d'attaquer la tribu qui, réduite dans le retranchement d'un îlot, fut anéantie avec leurs femmes et enfants. L'histoire du nord de l'archipel est parsemée de ces sombres épisodes. Les Aïnous insoumis survivant dans l'archipel, appelés ara-émici « Émici barbares », menacés de la même manière, se firent partout refouler vers le nord.

   Les tribus nordiques, dont la principale, Aïnou, appelée anciennement Émici, ne vivaient pas isolées les unes des autres dans leurs vallées (nai ou pet) mais en amitié avec les voisines même lointaines (car le troc faisait florès) et rarement en hostilités. Elles n'étaient pourtant pas si bien unies qu'une petite force impériale à qui un groupe d'Émici attaqué avait recours pouvait facilement maîtriser la situation. C'était en quelque sorte un monde celte dans la Gaule avant la conquête de César.

    L'empire japonais naissant du VIIe et du VIIIe siècle, très différent de l'homologue romain qui subordonna assez rapidement le monde celte et germanique, se contentait, faute de puissance effective, de laisser, en signe de la domination nominale, des bornes en pierre ou en bois dans les zones où il fallait marquer la frontière en fonction des pressions continentales. La vraie colonisation de Hokkaido n'a été entamée qu'à l'époque Meiji. L'impérialisme tard venu à Hokkaido fit en revanche péricliter, dès la seconde moitié du XIXe siècle, la langue aïnou.

    J'ai fait état, dans le billet 183, des numéraux aïnou de 11 à 19 :

sinep ikasma wanpe (11), tup ikasma wanpe (12), rep ikasma wanpe (13). inep ikasma wanpe (14), asiknep ikasma wanpe (15), iwanpe ikasma wanpe (16), arwanpe ikasma wanpe (17), tupesanpe ikasma wanpe (18), sinepesanpe ikasma wanpe (19).

   L'infixe ikasma (i-kas-ma « cela - surpasser - être ») donne à chaque numéral de 11 à 19, l'air non pas d'un mot mais d'une phrase nominale, tant il est lourd d'aspect. De 16 à 17 : iwanpe ikasma wanpe (16), arwanpe ikasma wanpe (17), l'élément 10 est répété.

    D'après le Dictionnaire Hattori (p. 261), le dialecte de la région Asahikawa (Hokkaido centre-ouest) dispose, pour 11, de sinepikasma (wanpe). On voit qu'on peut se passer de « wanpe » et que le sens de l'infixe ikasma ne s'y perçoit plus. Cette formation rapproche sinepikasma « un de surpassé, un de plus » du numéral anglais eleven 11 (got. ainlif, AHG. einlif « un à laisser (sur dix) ». Twelve 12 également : got. twalif, AHG. zwelif, AA. twelf « deux à laisser (sur dix)».

    De thirteen 13 : three + teen (forme fléchie de ten « dix ») à nineteen 19, la composition, moins compliquée, est exactement la même en aïnou. (À suivre)

 

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