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Philologie d'Orient et d'Occident
15 novembre 2011

De l'écriture de l'histoire à l'écriture littéraire (7)

Philologie d'Orient et d'Occident (151)
                                      Le 15/11/2011,  Tokyo      k.
De l'écriture de l'histoire à l'écriture littéraire (7)
Tosa-Nikki, journal de bord (2)



       Wotoko-mo sunaru niki-to ifu-mono-wo womuna-mo site-mimu-to-te suru-nari
      «(Moi, une femme,) je souhaiterais écrire un de ces journaux tenus, dit-on,
      par les hommes». (Tosa-Nikki, 1979, Tokyo, édition Iwanami, p. 7)

     Ainsi débute le Tosa-Nikki « Journal de Tosa » (cf. billet 150). La date de publication de cette petite œuvre se situe entre 935, l'année du retour de l'auteur à Kyôto, et 945, l'année de son décès. Il s'agit du premier journal privé presque entièrement écrit en kana, nouveau système graphique de l'époque, rédigé par Ki-no Tsurayuki, ex-gouverneur du pays de Tosa,

     Ce fameux incipit rend compte de deux choses : que tous les journaux, non seulement les chroniques ou les annales officielles mais aussi les jounaux écrits à titre privé, devaient être tenus par les hommes, manieurs de kanji, et que la nouvelle écriture, simplification des kanji phonétiques, était réservée non pas à tout le monde mais aux femmes dont la capacité était jugée inférieure aux hommes.

     Comme le latin au Moyen Âge européen, le chinois classique (kan-bun « lettres chinoises ») a été longtemps au centre de l'éducation japonaise. Son étude approfondie permit aux jeunes ambitieux de grimper rapidement dans la carrière de fonctionnaire. L'enseignement du chinois classique consistait non pas dans le développement de facultés de communication orale mais dans la version ainsi que dans la mnémotechnique. Cet état s'est en effet perpétué très longtemps, jusqu'au début du 20e siècle.

     À l'époque Heian, les étudiants n'étaient que des hommes, futurs fonctionnaires d'état, non pas des filles. Comme les clercs européens pouvaient s'exprimer en latin, nos anciens fonctionnaires écrivaient en chinois classique. Ils lisaient en traduisant en japonais le texte.

     Pourquoi donc Tsurayuki eut-il l'idée d'écrire un journal de voyage en kana, dans l'écriture féminine ? J'y ai déjà répondu dans le billet 150.
     Le kanji était une écriture de l'histoire qui excellait à décrire objectivement faits et choses, sans qu'on n'ait à y mêler de l'émotion. Il n'était pourtant pas apte à rendre clairs les sentiments personnels qu'on éprouvait dans diverses phases de la vie. Ces sentiments cadraient mal avec la langue écrite, apprise postérieurement. L'abolition des missions d'ambassade en Chine en 894 par Mitchizane préparait cet état de choses. (cf. billet 147).

     Les sensations qu'on avait à la vue d'un beau paysage, les états d'esprit devant une catastrophe ou les dispositions d'âme pour ce qu'on aime, tous ces sentiments continuaient d'être exprimés par des Japonais non pas dans la langue étrangère mais dans la leur et en forme poétique.

     La poésie est intraduisible. Car, ce qui compte dans la poésie, c'est la forme, entité inséparable du sens. La forme et le fond y sont fondus.  Les waka, ces yamato-uta « chants japonais », cherchaient à faire face aux kara-uta « chants chinois ». Tsurayuki en était parfaitement conscient.

     L'auteur qui se présentait en femme se garda de noter en kanji la parole du kara-uta qu'un monsieur entonna dans un toast d'adieu. C'était afin d'informer les lecteurs que ce n'était pas un homme mais une femme qui tenait le journal (ibid. p. 10).
     La narratrice se montrait extrêmement sensible aux scènes des enfants ainsi que des femmes du peuple. Elle s'amusait à remarquer que, dans un autre toast d'adieu, tout le monde se soûlait, même les enfants dont l'un qui ne connaissait visiblement pas le chiffre 1 (− en kanji) croisait, ivre, ses jambes, formant le chiffre dix (+) (ibid. p. 9).

     Dans un port d'escale nommé Hane « ailes », l'auteur faisait dire en waka à une fillette :  Si cela s'appelait vraiment des « ailes », ici, pourquoi ne pas voler à tire d'ailes vers la capitale ? (ibid. p. 25).

     Sa sympathie allait jusqu'à un pauvre garçon, embarqué dans le bateau avec l'intention de travailler dans la capitale, qui chantait : dans le bateau même, mes yeux veulent se tourner vers là où sont mes parents (ibid. 37). (À suivre). 

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