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Philologie d'Orient et d'Occident
18 mai 2011

Les Annales des trois règnes (4)

Philologie d'Orient et d'Occident (126)
                                  Le 18/05/2011, Tokyo       k.


   Annales en mana, fictions en kana
   Les Annales des trois règnes (4)


   Les Six Chroniques de l'empire 六国史 Rikkokushi (cf. billet 124) sont toutes rédigées non pas en kana 仮名« nom fictif, caractère provisoire », mais en mana 真名 « nom authentique, vrai caractère », c'est-à-dire, en idéogrammes chinois. Tout ce qui méritait d'être noté ou enregistré devait l'être en vrais caractères. C'est ainsi que nos premières annales impériales sont toutes en mana, c'est-à-dire, en kanji.

      Le terme mana, vrai caractère, est né, faisant pendant à un autre terme plus connu : kana « caractère provisoire, fictif ». Pour l'établissemnt du recueil Man'yô-shû et du Koji-ki « Vieux dits », on recourait parfois au côté phonique du kanji (non pas au côté « idée ») pour représenter les sons de la langue japonaise, très différente du chinois.
     Kari « oie » pouvait s'exprimer en kanji en deux façons :

     雁 (gan en japonais tardif, yàn en chinois), parce que, tout en n'étant pas prononcé kari, le mot signifiait « oie ». 
     加利 ka-ri, parce que ces deux kanji, ne signifiant pas « oie », pouvaient être prononcés ka-ri « oie ».

     Cette dernière utilisation de kanji s'appelle Man'yô-kana. C'est un emploi particulier des kanji-phonétiques, basé sur la seule exploitation des sons de kanji. Ce mode d'écriture man'yô-kana fut également en usage dans le Koji-ki, pour servir à rendre de vieux dictons ou poèmes dont la prononciation était connue, mais, dont le sens, peu clair, restait obscur en majorité. De ces man'yô-kana 加利, sont nés, au début de l'époque Heian, les formes simplifiés かり, カリ, habituellement appelées kana.

     Le coq chante était rendu dans le Man'yô-shû, en mana : 鶏鳴 « coq, chanter » dont la prononciation importait peu, car le sens, « au coq chantant » ou « au chant du coq », était assuré par les kanji. Le même sens pouvait s'exprimer en man'yô-kana : 等里我奈久 to-ri-ga-na-ku, la prononciation étant assurée par les kanji-phonétiques, dont le sens n'était pas pris en compte.

      Comme moyen de représentation de notre littérature, il n'y avait pas d'autre écriture que la chinoise. L'invention (ou la découverte d'une vision d'écriture) du kana moderne, simplification de mana, vint tardivement. Pour se faire l'idée ludique qu'était le kana, il fallait avoir longtemps travaillé, joué sur les mots en kanji, dans la peau du langage, avoir bien fréquenté les lettres chinoises et s'en être saturé, depuis plusieurs générations. 

     La fréquentation des lettres chinoises par les intellectuels japonais ne cessa de s'intensifier. Ils ont lu et écrit en chinois, mais ils ne le parlaient plus. Insulaires, ils n'avaient pas l'occasion d'être en contact oral avec les continentaux. C'était justement parce qu'ils ne pouvaient plus s'exprimer oralement en chinois, comme le faisaient les intellectuels des siècles précédents, que l'idée leur serait venue de jouer sur les idéogrammes.

     L'écriture kana fut une grande invention de ces siècles de Heian, période éprouvée durement par la nature, mais relativement paisible. Car l'époque Héian fut en quelque sorte une période d'isolationnisme, ce qui lui permit de mûrir dans divers domaines de la culture. La description en détail des fléaux de la nature semble refléter une certaine évolution de mentalité des chroniqueurs. Il fallait trois cents ans de familiarité avec l'écriture chinoise pour passer allégrement dans une nouvelle phase de culture.
 
     La première œuvre de qualité en kana ne date que du début du Xe siècle, avec Tosa-nikki « Les Jours à Tosa », journal, comique et un peu fictif, d'un voyage de retour, de Ki-no Tsurayuki, intendant de Shikoku, qui se déplaçait de Tosa à la capitale de l'époque, Kyoto. Le texte en aurait été établi vers les années 930, une trentaine d'années après la sortie des Annales des trois règnes en 901. Ce qui était officiel devait être rendu en mana, les écrits privés en kana.  (À suivre)

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