Philologie d'Orient et d'Occident (111)
Le 08/03/2011, Tokyo K.
Le gascon et le basque
Le gascon moderne (4)
Dans le billet 84, j'ai rapporté que le Narrateur d'À la recherche avait appris d'une vieille cuisinière de sa famille dont le modèle aurait été originaire de Gascogne (le département du Gers), qu'« on ne dit pas le Tarn, mais le Tar, pas le Béarn, mais le Béar. » Ce qui fait que plus tard, « je n'eus pas à y apprendre qu'il ne fallait pas dire, comme faisait Mme Bontemps, Madame de Béarn. » (À la reherche du temps perdu, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », 1954, t. 3, p. 34).
Le chanoine Ernest Nègre (1907-2000), né dans le Tarn, près d'Albi, linguiste et spécialiste d'occitan, publia plusieurs ouvrages de toponymie et d'onomastique de l'ouest de l'Occitanie, dont Les Noms de lieux du Tarn (Paris, Éditions d'Artrey, 3e édition, 1972). Un petit ouvrage d'une cent-vingtaine de pages, mais riche de renseignements qui témoignent de son amour du pays.
Selon le savant religieux, « beaucoup de noms de cours d'eau, de noms de lieux et de noms communs géographiques remontent à des bases ou racines qui ne sont ni latines, ni gauloises, mais bien antérieures. » (op. cit., p. 11) et le nom qui nous préoccupe est expliqué : « Tarn (Tarne, 1er siècle, Pline, 1V, 19), [tar], contient la base *tar, qui se trouve dans de nombreux noms de rivières de France, d'Allemagne et d'Italie, et le suffixe pré-latin -no. » (ibid.).
On sait que presque la totalité des départements de France tirent leur nom d'une rivière qui coule sur leur territoire. La rivière Tarn était donc à l'origine du nom départemental du Tarn, l'hydronyme Gers, de celui du Gers. Nombre de linguistes (dont mon illustre ami de Limoges : Jean-Pierre Levet) ont tout à fait raison de supposer que les hydronymes remontent à la plus ancienne des racines toponymiques. Les noms des quatre fleuves : la Garonne (< Garumna), la Loire (< Liger), le Rhône (< Rhodanus) et la Seine (< Sequana) remontent tous, d'après Dauzat (1963), à des éléments pré-celtiques.
Florissante au Moyen-Âge, avec les activités des troubadours, la langue occitane connaît ses premiers signes de déclin au XIVe siècle : dialectalisme (cf. xerxes5301, Nanfutsu-to Nanfutsu-go-no Hanashi - « Le midi et la langue du midi », Tokyo, Daigaku-shorin, 1980, p. 158). L'Académie des jeux floraux (Lo Consistori del gai saber) fut instituée en 1323 à Toulouse pour parer à la tendance, suivie en 1356 par la publication de la première grammaire occitane : Las Leys d'amors (Les Lois d'amours).
L'auteur y range comme lengatge estranh (langue étrangère) : « frances (français), engles (anglais), espanhol (espagnol), gasco (gascon), lombard (italien) » (II, 388, selon Gerhard Rohlfs (1892-1986) : Le Gascon, Études de philologie pyrénéenne, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1970, deuxième édition, p. 1. La première édition est de 1935. Le manuscrit original des Leys d'amors fut publié, refondu, à Toulouse, par Joseph Anglade, en 1919-1920).
On peut remarquer ici que la langue gasconne n'était plus, au XIVe siècle, un dialecte de la langue des troubadours (occitan), mais classée comme langue étrangère. Qu'est-ce qui l'a autant différenciée ?
Un des meilleurs spécialistes du gascon, Gerhard Rohlfs, pourvut son ouvrage d'un index lexical, c'est-à-dire, une liste des mots gascons cités, enrichie de ceux en d'autres langues environnantes, supposés plus ou moins en lien étymologique entre eux. Voici les chiffres :
Ces chiffres, eux-mêmes, répartis à partir du vocabulaire très divers, ne donnant pas de prise logique sur la nature étymologique entre langues, n'en constituent pas moins un certain repère des choses. On peut supposer, par exemple, que le gascon partage plus de points communs avec le basque qu'avec le français. (351) est le nombre des mots classés comme spécifiquement gascons. (À suivre)