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Philologie d'Orient et d'Occident
18 janvier 2011

Le kaléidoscope de l'obscurité Proust (31)

Philologie d'Orient et d'Occident (97)
                              Le 18/01/2011, Tokyo        K.

 Le kaléidoscope de l'obscurité
                                                                           Proust (31)

     L'itinéraire ferroviaire de Paris à Balbec que devait suivre le jeune Héros-Narrateur d'À la recherche reflétait sa vision kaléidoscopique de l'espace. Le trajet n'était pas vécu mais imaginé à partir des publicités de quelques compagnies de chemin de fer qui exploitaient à l'époque les lignes menant à Cabourg, Bayeux, Lannion ou Beg-Meil.

     Formé de trois mots grecs : καλός « beau », εἶδος « aspect », σκοπός « observateur », le mot kaléidoscope existe, selon le dictionnaire Lexis (Larousse, 1975), depuis le début du XIXe siècle. Il est antérieur au mot photographie, qui est entré en usage d'après l'anglais photography, composé des mots grecs : φωτός « de lumière » et γραφή « inscription ».

     Le petit cylindre dont une extrémité reçoit de menus papiers colorés, l'autre étant bouchée par un verre convexe, fait miroiter, à celui qui regarde l'intérieur en le tournant, de multiples variations colorées, de formes ou d'images. Cet instrument est probablement né en même temps que la lanterne magique qui existait déjà au début du XVIe siècle. C'était l'utilisation du verre, comme matière, qui en permit la création.
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     Le mot kaléidoscope est employé, au sens propre, à l'époque de l'insomnie du Narrateur :

     « [...] ouvrir les yeux pour fixer le kaléidoscope de l'obscurité » (À la recherche du temps perdu, Gallimard « Bibliothèque de La Pléiade », 1954, t. 1, p. 4).

     Il se revêt vite d'un sens métaphorique : décrivant le cours de la Vivonne, le Narrateur évoque le fond et le parterre d'eau qui ferait « étinceler sous les nymphéas le kaléidoscope d'un bonheur attentif, silencieux et mobile, [...] » (ibid., p. 169-170)

     Dorénavant, le mot se présente toujours, accompagné d'une connotation autre que concrète, favorable à la description des changements chronologiques ; d'abord sociopolitiques, au moment de l'affaire Dreyfus :

     « [...] pareille aux kaléidoscopes qui tournent de temps en temps, la société place successivement de façon différente des éléments qu'on avait crus immuables et compose une autre figure. [...]. Ces dispositions nouvelles du kaléidoscope sont produites par ce qu'un philosophe appellerait un changement de critère. L'affaire Dreyfus en amena un nouveau, [...]. Qu'au lieu de l'affaire Dreyfus il fût survenu une guerre avec l'Allemagne, le tour du kaléidoscope se fût produit dans un autre sens. » (ibid., p. 517).

« Il est vrai que le kaléidoscope social était en train de tourner et que l'affaire Dreyfus allait précipiter les Juifs au dernier rang de l'échelle sociale. » (op. cit., t. 2, p. 190).

     Le kaléidoscope, dont un tour assure l'image fixe jusqu'à ce que survienne un autre tour, peut rendre compte de nouvelles phases de la société, présentées successivement sous divers aspects. Le Narrateur critique ceux qui, la société étant momentanément immobile, « s'imaginent qu'aucun changement n'aura plus lieu, de même qu'ayant vu commencer le téléphone, [...] ne veulent pas croire à l'aéroplane » (op. cit.,  t. 1, p. 517)

     Le tour du kaléidoscope aura lieu aussi dans la société mondaine :

     [...] le plus récent tour du kaléidoscope mondain avait été provoqué par une série de scandales. (ibid., p. 520)

     Il se produit également dans le monde de critiques littéraires :

     [...] leur logomachie se renouvelle de dix ans en dix ans (car le kaléidoscope n'est pas composé seulement par les groupes mondains, mais par les idées sociales, politiques, religieuses [...].) (op. cit., t. 3, p. 893).

     Ainsi le kaléidoscope, dont l'essence est composée d'images fixes comme dans la photographie, était une pièce honorable de l'écu littéraire.

     Alors, quelle idée le Narrateur se faisait-il du cinéma (κίνημα « mouvement » +  γραφή « inscrit » ) dont il avait vécu le début ?

     « Quelques-uns voulaient que le roman fût une sorte de défilé cinématographique des choses. Cette conception était absurde. Rien ne s'éloigne plus de ce que nous avons perçu en réalité qu'une telle vue cinématographique. » (ibid., p. 882-883). La vision cinématographique « s'éloigne [...] d'autant plus du vrai qu'elle prétend se borner à lui » (ibid., p. 889).

   (À suivre)

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