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Philologie d'Orient et d'Occident
12 janvier 2011

Le chemin de fer et l'automobile

Philologie d'Orient et d'Occident (96)
                              Le 12/O1/2011, Tokyo        K.

        Le chemin de fer et l'automobile            Proust (30)

     Le réseau ferroviaire est une grande création du Second Empire. Selon les Cours d'Histoire Malet-Isaac (Cours complet 1950, Classe de première 1961, Paris, Hachette), le réseau ferré français, qui ne courait que sur 270 kilomètres en 1836, s'étendit à une vitesse vertigineuse : 1900 kilomètres en 1848, 3000 en 1852 pour atteindre 18000 kilomètres en 1870, à la veille de la naissance de Proust. D'après une carte du manuel Malet-Isaac (ibid, p. 124), le réseau était plus dense dans le Nord (Normandie et Picardie) et dans le Nord-Est (Lorraine-Alsace) que dans l'Ouest (Bretagne) et dans le Sud.

     Des dix villes réelles (Bayeux, Coutances, Vitré, Questambert, Pontorson, Lannion, Lamballe, Benodet, Pont-Aven, Quimperlé) où doit s'arrêter le train à destination de Balbec (cf. billet 95), cinq, bretonnes, (Questambert, Lannion, Benodet, Pont-Aven, Quimperlé), certes de gros bourgs, ne se trouvent pas sur la ligne ferroviaire de Balbec, si cette dernière, reliée par le train avec Paris, n'est en réalité que Cabourg.

     Une note de la nouvelle édition Gallimard éclaircit ce parcours kaléidoscopique :

Cette première liste de noms réels (à part celui de Balbec) exclut la possibilité d'un parcours ferroviaire unique. On trouve groupées dans les publicités pour billets circulaires des Chemins de fer de l'Ouest d'une part Pontorson, Lannion et Vitré, d'autre part Bayeux, Coutances, Lamballe et Lannion. À Quimperlé, on pouvait prendre le train Nantes-Paris. Comme le note A. Ferré, « sept lignes réelles différentes [ont] servi à composer cette ligne à demi fictive ». (Bibliothèque de La Pléiade, 1987, t. 1, p. 1264) 

    Pour Pont-Aven et Benodet, situées le plus à l'ouest des dix villes et de difficile accès par le train, Proust fit en 1895 un séjour à Beg-Meil qui est tout près de Benodet et un des modèles de Balbec. À l'époque, l'automobile était déjà commercialisée.

      Le voyage en automobile nous procure la sensation physique soit agréable soit pénible d'être en perpétuel mouvement, en nous permettant cependant de sentir par les organes des sens l'extérieur qui change au fur et à mesure. Il oblige en même temps à se trouver en contact plus ou moins direct avec la nature.
      Pour le voyage de Balbec, l'auteur présente deux moyens de locomotion : chemin de fer et automobile, et en énumère les vertus :

Ce voyage [de Balbec], on le ferait sans doute aujourd'hui en automobile, croyant le rendre ainsi plus agréable. On verra qu'accompli de cette façon, il serait même, [...], plus vrai puisqu'on y suivrait de plus près, dans une intimité plus étroite, les diverses gradations selon lesquelles change la face de la terre. Mais enfin le plaisir spécifique du voyage n'est pas de pouvoir descendre en route et s'arrêter quand on est fatigué, c'est de rendre la différence entre le départ et l'arrivée non pas aussi insensible, mais aussi profonde qu'on peut, de la ressentir dans sa totalité, intacte, telle qu'elle était en nous quand notre imagination nous portait du lieu où nous vivions jusqu'au cœur d'un lieu désiré, en un bond [...] (À la recherche du temps perdu, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », 1954, t. 1, p. 644).

     En automobile, la sensation est continue et suivie entre le départ et l'arrivée, tandis qu'en train, elle est décousue et chaque image d'arrêt est plutôt indépendante et fixe comme dans une photographie. Selon le Narrateur, c'est le chemin de fer qui nous permet de sentir la différence foncièrement profonde entre le départ et l'arrivée. Il essaie de retrouver une cohérence entre deux choses aussi différentes que possible, de mettre en relation deux objets aussi éloignés l'un de l'autre, de concilier deux inconciliables. N'était-ce pas précisément la vision surréaliste des choses ?

     Dans ce sens-là, à lui ressemble notre poète Nishiwaki, pionnier du mouvement surréaliste japonais qui voulait voir s'établir, dans sa poésie et dans sa curieuse comparaison gréco-chinoise (cf. billet 51), des rapports inattendus entre deux objets ou deux mots opposés, d'où tirer sa force créatrice en poésie. (À suivre).

    

    

    

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