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Philologie d'Orient et d'Occident
7 décembre 2010

Langues du midi et Proust (19)

Philologie d'Orient et d'Occident (85)
                              Le 7/12/2010, Tokyo        K.

                       Langues du midi et Proust (19)

   

      Augustin Thierry (1795-1856), auteur préféré du jeune Narrateur à Combray (À la recherche du temps perdu, Gallimard « Bibliothèque de La Pléiade » 1954, t. 2, p. 836), fut un habile conteur d'histoires qui présenta, de façon vivante, le double antagonisme romancé entre civilisations romaine et barbare (franque), entre races conquérante (Francs) et conquise (Gaulois). De la lecture, Proust se serait fait une idée des aristocrates de provenance germanique (les Guermantes) et du peuple d'origine gauloise (race des Françoise).
     Il n'avait pas conscience que les wisigoths, vieux résidants dans le midi, étaient des germains romanisés venus en masse dans la Gaule du sud par les pays méditerranéens civilisés (Grèce et Rome), bien avant les Francs entrés tardivement dans la Gaule du nord. Céleste Albaret, le plus important des modèles de « Françoise », originaire du sud du Massif Central, fut « grande, fine, belle, un peu maigre » (Monsieur Proust, Paris, Robert Lafont, 1973, p. 137) à tel point qu'on dirait une Wisigothe.

     Le charmant livre Monsieur Proust nous renseigne aussi sur le parler de la personne avec qui Françoise était en grande conversation (cf. billet 83). Le Narrateur s'est émerveillé de ce que l'éloignement de ce pays de celui de Françoise n'empêchât nullement les deux femmes de se comprendre. On voit, par le témoignage de Céleste Albaret, que le parler de l'amie de Françoise était le limousin, celui de Françoise, dans cette occasion, l'auvergnat (op. cit., p. 355).

     Dans le territoire de France, plusieurs langues étaient en usage.    
     François Ier avait prescrit l'usage du français pour les affaires publiques (l'ordonnance de Villers-Cotterêts 1539). Le véritable tournant fut marqué par un républicain gallican, l'Abbé Grégoire, d'origine lorraine (1750-1831), qui s'échina à éradiquer les patois pour faire du français la langue nationale. Il travailla aussi, fidèle à ses idées philanthropiques, à abolir l'esclavage et à faciliter aux juifs l'obtention de la nationalité.
     Il fut un des rares révolutionnaires qui sortirent vivants de la Terreur. Sur le tard, il habita Paris, à Auteuil, lieu de naissance de Proust, et y laissa la peau à l'âge de 80 ans. Sa dépouille fut saluée par l'éloge funèbre d'Adolphe Crémieux (cf. billet 72), un des grands-oncles maternels de Proust et le premier avocat juif en France, qui accédait, grâce à ce religieux hors pair, à la fonction publique.

     Avec la Restauration, le renouveau des langues régionales ne tarda pas à se concrétiser, considérées « anti-révolutionnaires » pendant la Révolution. L'attirance du midi renaissant était telle que, lorsque Stendhal (1783-1842) partit de Grenoble pour faire carrière, il aurait hésité entre deux destinations, le nord et le sud. Ce fut François Raynouard (1761-1836), homme politique girondin, converti en poète et érudit linguiste, qui en prépara la renaissance. Des littéraires provençaux le suivirent, tels que Joseph Roumanille (1818-1891), Théodore Aubanel (1829-1886) et Frédéric Mistral (1830-1914), prix Nobel en 1904.

     Ces littéraires du midi étaient aussi théoriciens et linguistes, en parallèle avec lesquels les vrais grammairiens occitans poursuivaient leur travail. Entre autres, Camille Chabaneau (1831-1908) (Grammaire Limousine, 1876) et Jules Ronjat (1864-1925), auteur des quatre volumes monumentaux de la Grammaire historique des parlers provençaux modernes (1930-1941), ouvrage posthume.
     Dans la préface de ces pavés, Ronjat combattit sévèrement le concept des dialectes en tapisserie de Gaston Paris. Suivant ce dernier, « […] aucune limite réelle ne sépare les Français du Nord de ceux du Midi, et […] d'un bout à l'autre du sol national nos parlers populaires étendent une vaste tapisserie dont les couleurs variées se fondent sur tous les points en nuances insensiblement dégradées […] » (op. cit., t. 1, introduction, p. 3).

« La conception de Gaston Paris est une hypotèse construite, en contradiction avec des faits ignorés ou méconnus, pour justifier un système historique (il n'y a pas deux France). On va voir tout à l'heure en quoi consiste, non la muraille qu'il a voulu démolir, mais la limite dont tout observateur peut constater l'existence » (ibid.)

           Proust ne s'est jamais aligné sur l'idée de Ronjat. (À suivre)

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