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Philologie d'Orient et d'Occident
13 octobre 2010

Le fétichisme onomastique : Proust (4)

Philologie d'Orient et d'Occident (70)
                                      Le 13/10/2010, Tokyo     K.

Le fétichisme onomastique : Proust (4) 

     Le petit livre de l'étymologie toponymique d'Albert Dauzat, Les noms de lieux, Origine et évolution, a été publié en 1963 à Paris, chez Delagrave. Il est petit mais assez complet pour se rendre compte de ce que c'est en France que les noms de lieux.

     D'après Dauzat, -acum « domaine » est un des plus productifs des suffixes toponymiques. A l'origine, il s'agissait d'un « suffixe gaulois -acos, latinisé en -acum ou -acus qui a connu la plus brillante fortune à l'époque romaine. » (p. 113).
     Le -acum est représenté globalement dans le midi par -ac (Cognac, Solignac, Segonzac, etc), au centre, -at (Ceyssat, Dauzat, Nanthiat), à l'est, -as (Lacenas, Poliénas). En occitan, le -c final a cessé de se prononcer, d'où les formes en -at ou en -as. N'étant pas limité dans le sud de France, le suffixe latin -acum s'est étendu dans le nord jusqu'en Bretagne-Normandie où -ac(um) latin a concurrencé le suffixe celte subsistant -ac(os), tel qu'on le voit à Moréac (Maurius + acum) et à Carnac (*karn "tas de pierres" + acos).

     Or le Poitou et ses environs présentent toutes les étapes du suffixe -acum dans la transformation du modèle méridional au septentrional : -ac (Bellac entre Poitiers et Limoges, Lusignan originairement en -acum a pris un autre suffixe -anum), -ec (Ruffec), -ay (Gençay, Quinçay, Parthenay), -é (Vouillé, Latillé, Rouillé, Couhé, Champagné-St Hilaire), -y (Chauvigny, Marigny, Savigny-Lévescault). La forme ordinaire de la région est -é comme Vouillé ou -ay comme Marçay près de Vivonne. Le -y est normalement nordique. On en trouve à foison dans la région parisienne : Orly, Chantilly, Neuilly, etc.

     Peut-on cerner, de ce point de vue, Combray, deuxième toponyme en fréquence d'emploi dans À la recherche ? Je l'imaginais dans le contexte étymologique que je venais d'exposer. D'après une note dans l'index des noms de lieux de l'édition de la Pléiade 1954, la première édition de Du côté de chez Swann avait deux mots de plus à la fin de la phrase tandis que les éditions postérieures en sont privées:

    « On avait toujours le vent à côté de soi du côté de Méséglise, sur cette plaine bombée où pendant des lieues il ne rencontre aucun accident de terrain (depuis Chartres) ». (Pléiade 1954, t. 1, p. 145). Méséglise est un des deux côtés de la promenade dans Combray. La note de la Pléiade 1954 ajoute : « Jusqu'en 1913 Proust a situé Combray dans la région de Chartres, à l'emplacement même d'Illiers. C'est seulement après 1914, lorsqu'il a décidé de faire entrer la guerre dans son œuvre, qu'il a placé Combray sur le front, entre Laon et Reims. » (op. cit. t. 3, p. 1292). D'où une petite sensation de dissonance pour moi à propos de Combray qui ne devait pas être situé dans le nord.

     Or le nom de Combray, si français qu'il puisse sonner, ne serait pas de formation romaine : de Combrus + acum, ni de Comerus + acum, Combrac faisant défaut, mais du celte Comboros « barrage ou confluent » qui aurait existé en Gaule dans ce sens. Un Combray existe en Normandie, et il y en a d'autres : Combrée, Combret, Combres qui seraient tous, si l'on peut se fier à Dauzat, liés au celte Comboros. Proust avait-il tiré ce nom, du pays de Calvados et l'a placé près de Chartres ?
     Il est certain que le modèle de Combray, celui du lieu où le jeune Narrateur avait passé ses vacances d'été en famille, était Illiers près de Chartres. Le nom Méséglise est une "corruption" de Méréglise (= Mater Ecclesia "Eglise Mère" d'après Dauzat), localité réellement située à l'ouest d'Illiers.
     Le jeune Proust avait-il appris par les gens du pays à prononcer Méséglise au lieu de Méréglise ? Ou a-t-il simplement modifié ce toponyme pour le différencier de son vrai modèle ? Ou bien Proust le linguiste savait-il que le mot bésicles « lunettes » remonte à l'ancien français bericles ?
    Illiers et ses environs sont un véritable grenier onomastique de Proust.  (A suivre)

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