Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Philologie d'Orient et d'Occident
22 septembre 2010

L'arbitraire du signe et Nishiwaki Junzaburô

          Philologie d'Orient et d'Occident (64)
                                      Le 22/09/2010, Tokyo     K.

           L'arbitraire du signe et la racine primitive
                                                Nishiwaki Junzaburô (18)

    Pour l'arbitraire du signe linguistique, il y a une grande divergence d'optique entre les langues occidentales composées de phonèmes et les langues orientales syllabiques, constituées de sémantèmes, comme le chinois, le japonais, etc. Quand Saussure dit : la langue, il s'agit de la langue orale. L'arbitraire du signe présuppose une langue orale.

     Ce n'est pas le signifié (concept) mais le signifiant (image acoustique) qui est ici en question. En Europe, depuis Platon, la relation entre le nom et la chose est l'objet de débats. Deux idées se sont longtemps opposées : la relation « naturelle » (φύσει, de Cratyle) et la relation « conventionnelle » (θέσει, de Hermogène).

     Or, depuis Saussure, le débat a changé d'aspect. Le problème n'est plus celui de la nomenclature mais celui du signe, analysable en son (image acoustique = signifiant) et en sens (concept = signifié). Selon Saussure, la relation entre le signifiant et le signifié est arbitraire. Pour cet enseignement, Emile Benveniste a émis une idée sensiblement différente (Acta linguistica 1, 1939, Copenhague. L'article est repris dans les Problèmes de linguistiques générale 1, 1966, Gallimard, p. 49-55).

     D'après Benveniste, c'est entre le signe et son référent que l'arbitraire existe. Je reproduis ici le texte qui avait été omis au début de mon premier billet : « Le concept (« signifié ») « bœuf » est forcément identique dans ma conscience à l'ensemble phonique (« signifiant ») böf. Comment en serait-il autrement ? Ensemble les deux ont été imprimés dans mon esprit ; ensemble ils s'évoquent en toute circonstance. Il y a entre eux symbiose si étroite que le concept « bœuf » est comme l'âme de l'image acoustique böf. » (op. cit, p. 51).

     A l'assertion de Benveniste fait écho celle de Roman Jakobson : « L'intimité du lien entre les sons et le sens du mot donne envie aux sujets parlants de compléter le rapport externe par un rapport interne. » (billet 1).

     Avant de voir comment Nishiwaki a fait face à ce redoutable problème de poétique, prenons un petit exemple dans ses poèmes pour rendre compte de la situation dans un pays à idéogrammes.

    Second vers du Temps qu'il fait (Ambarvalia) :

    何人か (-ka) 戸口にて(-nite) 誰かとささやく(-kato-sasayaku)

     Il y a ici, trois mots en kanji : 何人, 戸口, 誰. La lecture des deux derniers 戸口 (toguchi), 誰 (dare) ne pose pas de problème, tandis que le premier kanji 何人peut être lu de plusieurs façons : nani-jin (étranger inconnu d'origine. Un exemple en est fourni au deuxième chant de son recueil Le Temps perdu 1960) ; nan-nin (plusieurs) ; nani-hito, nani-bito, nan-bito (quelqu'un ou quelques-uns). Ce qui détermine le sens n'est pas la forme du mot mais la manière d'interpréter le poème entier, cela peut même être le contexte. Les trois dernières lectures (nani-hito, nani-bito, nam-bito) sont du même sens, à quelques nuances près. Nishiwaki aurait préféré la lecture nani-hito (ou nani-bito) dont le choix exclurait la lecture nan-nin ou nani-jin.

    Ici la différence phonétique entre nani- / nan-, -hito / -bito n'a pas beaucoup de sens. Ce qui est important, c'est le fait que l'unité 何人 peut être lue de plusieurs manières, selon lesquelles le sens diffère. Non seulement Nishiwaki mais tous les autres poètes qui emploient le japonais comme langue de travail laissent ainsi le lecteur choisir sa propre lecture. Le sens du kanji doit être compris visuellement. Le recours au son est de peu de secours. S'y ajoute le problème de la distinction des kana en sémantèmes. 誰 (dare) かと (kato) peut être découpé de deux façons : dare-kato (avec quelqu'un) et dareka-to (... qui c'est). C'est la ponctuation mentale.

    Dans cet état de choses, peut-on s'offrir le luxe de s'approprier le principe de l'arbitraire du signe à l'occidentale ? Le poète à la recherche de la vérité du vocabulaire va fouiller, tel Nishiwaki, en direction de la racine primitive.   (A suivre)

Publicité
Publicité
Commentaires
Philologie d'Orient et d'Occident
Publicité
Archives
Publicité