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Philologie d'Orient et d'Occident
10 août 2010

Nishiwaki Junzaburô le comique

Philologie d'Orient et d'Occident (51)
                                       Le 10/08/2010, Tokyo     K.

         Le comique du texte de Nishiwaki Junzaburô (5)
               - Abolir le contexte, expulser le sens -

      Le recueil poétique Ambarvalia (1933) de Nishiwaki Junzaburô est constitué d'un ensemble bipolarisé : une partie est intitulée LE MONDE ANCIEN, l'autre, LE MONDE MODERNE. Le premier monde est introduit par le brillant des bijoux renversés du petit poème en trois vers: Le Temps qu'il fait (cf. billet 47). Le second, illustré par le comique du Chauffeur embaumé (馥郁タル火夫 fukuiku-taru kafu), poème-prose de 36 lignes, dont voici la traduction littérale des trois premières lignes.

     ダビデの職分と彼の宝石とはアドーニスと莢豆との間を通り無限の消滅に急ぐ。故に一般に東方より来りし博士達に倚りかゝりて如何に滑らかなる没食子が戯れるかを見よ!

     La royauté de David et ses bijoux, se hâtent, en passant entre Adonis et haricots, vers l'anéantissement infini. Voyez donc comment jouent les noix de galle lisses, s'appuyant contre les Rois mages arrivés généralement d'Orient !

     Le comique littéraire, voulu par le poète, se produit là où l'anomalie stylistique, essentiellement sémantique, n'enfreint pas les règles grammaticales des particules. L'incapacité de comprendre comme il faut ne prête qu'à rires. L'art du non-sens de Nishiwaki est tantôt sauvage (comme dans le cas présent), tantôt sublime (comme dans celui du Temps qu'il fait). Le sauvage et le sublime étaient les bienvenus à l'époque qui se préparait à la barbarie de la guerre.
     Le non-sens, caractéristique de ce poème-prose, est un résultat du manque de symbolisme. Ses poèmes ne se veulent pas symboliques. Ceux qui veulent chercher dans ses poèmes quelque chose de symbolique, d'éthique, de moral, voire, un signifié moralisant seront déçus.
     Les noms du roi David, de l'éphèbe Adonis ou des Rois mages n'ont de sens ni légendaire ni mythique dans ce morceau poétique. Ils sont uniquement significatifs dans le sens où ils sont juxtaposés aux "bijoux", aux "haricots" ou aux "noix de galle". C'est la juxtaposition des éléments aussi dissemblables que ces couples: David / bijoux, Adonis / haricots, Rois mages / lisses noix de galle, qui engendre chez le lecteur compréhensif des rires irrésistibles. La juxtaposition crée, entre les éléments, des liens aussi nouveaux qu'imprévus.

     Plus d'un des poèmes de Nishiwaki (surtout ceux du recueil Ambarvalia) auraient été, d'après Kagiya Yukinobu (Shijin Nishiwaki Junzaburô, Tokyo, Chikuma-shobô, 1983), issus d'un livre de dessins, de flore ou de faune ou parfois, comme en a fait état l'excellent livre sur ses citations (Niikura Shun'ichi, Nishiwaki Junzaburô zenshi in'yu shûsei, Tokyo, Chikuma-shobô, 1982), d'un mot ou d'une petite phrase des poètes anciens ou contemporains.
     D'après le livre de citations du professeur Niikura, Le Primitivisme d'une coupe (billet 49) était inspiré par un dessin allégorique de Botticelli. Le Temps qu'il fait, par une petite phrase de John Keats (1795-1821) auquel le poète japonais vouait une grande admiration. Il me semble inutile, cependant, de longuement épiloguer sur ses sources d'inspiration. Car l'intérêt de sa poésie est principalement de voir s'établir dans sa langue des rapports inattendus entre les objets décrits qui se trouvaient aux extrémités opposées d'un imaginaire. Ce procédé, devenu à présent une pratique courante non seulement dans la poésie mais dans le langage médiatique, peut se transformer en calembours ou de simples jeux de mots, voire en fadaises. Pour ses poèmes, l'essai d'interprétation érudite risque de sombrer dans d'affreuses élucubrations.

    La comparaison des vocabulaires chinois et grec du poète Nishiwaki qui vient de se retirer de la vie universitaire contraste curieusement avec la méthode académique. Elle n'est nourrie nullement des exégèses scientifiques ni des travaux d'érudition. On se rend compte qu'il s'agit de nouvelles créations poétiques.

(A suivre)

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Commentaires
A
(texte sans accents) J'ai ete frappee par cette etonnante application stylistique de la methode d'ecriture surrealiste par Nishiwaki. A l'epoque ou Andre Breton (avec d'autres surrealistes) venait de re-ecrire sa nouvelle theorie de l'ecriture automatique (Message automatique, 1933) en France, Nishiwaki, de son cote, faisait ce jeu linguistique - sans doute surtout pour s'amuser - en langue japonaise !
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