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Philologie d'Orient et d'Occident
3 août 2010

Nishiwaki Junzaburô et son art de création d'images

Philologie d'Orient et d'Occident (49) 

 Le 03/08/2010, Tokyo    K.

 Nishiwaki Junzaburô et son art de
création d'images antiques (3)

 

                 コツプの原始性                                    

           ダフネの花が咲き                              
           
光る河岸を                                                                    
           林檎とサーベルをもつた天使のわきを過ぎ
           金髪の少年が走る     
           アカハラという魚を                   
           その乳光の目の上を
           指の間でしつかりつかみながら
           黄金の夢は曲がる

                Le primitivisme d'une coupe

           Sur le rivage à la lumière
           des daphnés fleuris
           à côté d'un ange avec une pomme et un sabre,
           fonce un petit blond
           avec un ventre écarlate (poisson),
           par-dessus l'œil blanc lacté
           bien agrippé entre les doigts,
           le rêve doré fait un détour

     Ce poème de Nishiwaki (Ambarvalia) est intitulé: コツプの原始性  Le primitivisme d'une coupe. Quelle que soit en réalité la signification de ce morceau, le poème ne manque pas de m'évoquer l'image d'un grand vase ou d'une amphore méditerranéenne retrouvée quelque part, à l'occasion d'une fouille archéologique. Le poème semble décrire les scènes peintes, pittoresques et exotiques, sur la poterie.

    L'image est présentée avec le vocabulaire des couleurs: daphné (blanc ou pâle violet), pomme (rouge ou jaune), garçon blond, triton au ventre écarlate, œil blanc-lacté, enfin le rêve doré. Il y a six couleurs sur huit vers. Un mot à couleur pour chaque vers, ou presque. Qui aurait pu ne pas s'émerveiller, dans ce poème, de la clarté méditerranéenne et de la limpidité du pays que la plupart des lecteurs japonais ne connaissaient pas, au moment où le pays du poète, dont les habitants, ne sortant jamais de leur territoire, s'y tenaient cois, glissait vers une zone sombre et inconnue. La date de la publication du recueil à échos retentissants était de 1933.

     Ses poèmes ne sont pas pièces à énigmes. On n'a qu'à être sensible aux images produites par les mots. Avec les termes: daphné, ange, sabre, blond (et même le rêve doré) dont la référence n'est pas japonaise, on est déjà devant un paysage d'Occident.

    Il y a dans ce poème trois mots en kata-kana (écriture syllabique dont l'absence de notion étymologique la rend propre à transcrire des mots étrangers ou d'origine étrangère) : ダフネ daphné, サーベル sabre et アカハラ ventre rouge (triton). Dans sa décision d'ignorer les correspondants japonais: 沈丁花 Jin-chô-gé pour daphné et 刀 katana, 剣 ken, tsurugi pour sabre, le poète veut-il occidentaliser la scène ? Peut-être.
     Le (mot) sabre était un symbole du pouvoir détenu par un agent de la police, organe d'administration importé d'Occident. Pour se rendre compte que ダフネ daphné n'était que l'arbuste que connaissait tout le monde, il fallait être non seulement informé mais instruit. Etre sensible aux poèmes du recueil Ambarvalia revenait à dire qu'on était cultivé non pas à la japonaise mais à l'européenne. Les mots en kata-kana concouraient, avec les termes daphné, ange, blond etc., à donner au public japonais une agréable sensation de dépaysement.

     Pourquoi le poète a-t-il présenté le mot ventre rouge en kata-kana ?  Le mot aka-hara, loin d'être d'origine occidentale, est un terme japonais dialectal. Il correspondrait soit à triton (imori en j.), amphibie proche de la salamandre, ou à vandoise (ugui en j.) poisson d'eau douce dont le ventre n'est pas toujours rouge. Le poète, d'origine plutôt nord du Japon, n'aurait-il pas pensé pour ce terme au ventre rouge (aka-hara) de son pays natal ?

     Le sens exact du terme m'indiffère totalement ainsi que son référent. C'est un peu comme d'entendre sortir de la bouche d'une belle Française un gasconisme: lo beth cèu de Pau (le beau ciel de Pau). L'emploi d'un terme qui n'est pas d'usage courant dans une grande ville (Tokyo, en l'occurrence) nous éloigne des actualités insipides, au risque de tomber dans un affreux provincialisme ou dans le snobisme. Ces trois mots kata-kana ont eu pour effet de gratifier le lecteur d'un petit voyage virtuel. (A suivre)

 

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