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Philologie d'Orient et d'Occident
21 juillet 2010

Mots onomatopéiques

Philologie d'Orient et d'Occident (46)

 Le 21/07/2010, Tokyo    K.

Turu "grue" japonaise et  γέρανος "grue" grecque

 - Mots onomatopéiques -

         Le mot japonais tsuru "grue" se dit, dans le parler de Shuri, ville des Ryûkyû du sud, tsiru ou tsiru-n(u)-tui. Les deux éléments: n(u) et tui du terme tsiru-n-tui ne sont pas difficiles à expliquer. Tui de ryûkyu du sud se dit turi en ryûkyû du nord, ce dernier correspond au japonais tori "oiseau".
      N(u) est une particule génitive-nominative employée dans une phrase telle que: ami-nu hujun "la pluie tombe, il pleut". La particule nu, homologue de la particule casuelle japonaise -ga ou -no, est d'emploi courant non seulement dans les Ryûkyû mais dans la grande partie méridionale de Kyûshû: kaminari nu ochiru "la foudre s'abat". La présence de caractères linguistiques communs entre Ryûkyû et Kyûshû est d'évidence. Le problème est de savoir à laquelle des deux zones est la priorité d'ancienneté. J'aurai d'autres occasions de parler plus longuement de la particule nu, originaire d'un pronominal.

    

    Tsiru-n-tui est donc "oiseau de tsiru". Sans l'épenthétique -r-, tsiru serait tsiu. J'ai dit précédemment (billet 44) que tui "oiseau" ryûkyû pourrait venir du chinois tögteu "oiseau" en cours des Han jusqu'aux T'ang. Avant de faire attribuer à *tsiu "grue" ryûkyû la même provenance que tui "oiseau", il faut voir comment était exprimée en chinois ancien la "grue".

     La prononciation kak(u) du kanji 鶴 est du chinois du nord (kan-on), celle de gak(u), du sud (go-on), qui auraient été pratiquées aux environs des deux premiers siècles avant et après l'ère chrétienne. D'autre part, Dr Tôdô situe, dans son dictionnaire (Tokyo, Shôgakkan, 1978), la prononciation hak à l'époque Sui-T'ang, hok aux Chou-Han. H, fortement aspirée, confinait plutôt à k(g) occulsive-vélaire, d'où kak(u) en lecture chinoise ou ha(k) coréen, compris 白 pe(k) "blanc", probablement à cause de la blancheur du plumage. J'ignore encore ce qui peut rapprocher tsuru japonais de turumi "grue", un autre terme coréen.

    Le cygne se disait en chinois 鵠 hok de la haute antiquité chinoise jusqu'à l'époque Sui-T'ang, hu à l'époque Sung-Ming. Kuku-hi était une ancienne appellation japonaise de l'oiseau blanc. 鵠沼 kuge-numa (ku-ga-numa) "mare aux cygnes" est un toponyme de l'ouest de Tokyo. Hok chinois était sans doute d'origine onomatopéique.
     L'identité phonique [hok] en ancien chinois pour "grue" et "cygne" nous invite à croire qu'il est souvent arrivé, surtout à ceux qui s'y connaissaient mal, de confondre les deux oiseaux. H(k)ok chinois, ainsi que son homologue grec κύκνος, est censé être chacun de provenance onomatopéique. Bailly suppose que le mot venait de la racine κFαν, καν "faire du bruit" d'où aurait dérivé κύων "chien" ainsi que, je suppose, 犬 k'uen chinois (cf. billet 37).
     En grec ancien, la grue s'appelait γέρανος "la criarde", grus en latin, d'où le français grue. La racine indo-européenne gar- "résonner, crier, parler", concrétisée dans le verbe sanscrit √gr "crier", a beaucoup produit en grec ancien, entre autres, γῆρυς "voix", γηρύομαι "parler, faire entendre, chanter". L'épithète de Nestor dans le texte homérique, gérênios (Γερήνιος ἱππότα Νέστωρ) serait également provenue, d'après l'éminent helléniste comparatiste Jean-Pierre Levet, de cette racine concernant la voix.

     Il semble que la forme supposée *tsiu "grue" n'ait pas eu de rapport avec chinois: hokhak 鶴 "grue", hok hok 鵠 "cygne" ni même avec kuan 鸛 "cigogne". Mais cette petite comparaison m'a fait bénéficier d'une meilleure conception de création et de parenté du vocabulaire ornithologique. Kuku-hi japonais "cygne" n'est-il pas apparenté, par le chinois hok  (soit "grue", soit "cygne") ou kuan 鸛, avec le grec κύκνος? Le rapport de kuan 鸛 avec la racine κFανκαν semble évident. Si ce n'était pas un lien direct, ce serait au moins un témoin éloquent de l'universalité d'idées sur la création du vocabulaire onomatopéique.

     *Tsiu "grue", ainsi que tui "oiseau", peuvent dériver de teu chinois "oiseau". Le coréen se: "oiseau" ne serait pas un résultat du proces phonétique: teu - tse(u) - se:. Le ryûkyû tsiru-n tui "grue" a beaucoup à nous apprendre.

   
      

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