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Philologie d'Orient et d'Occident
29 juin 2010

Okinawa et Ryûkyû comme toponymes

Philologie d'Orient et d'Occident (39)
                                              Le 29/06/2010, Tokyo     K.


Okinawa et Ryûkyû comme toponymes

     Okinawa (Okinaha), située au centre des Ryûkyû, est le nom de la plus grande des îles de cet archipel. Manifestement d'origine japonaise, le nom, provenu d'un usage limité à une petite localité près de l'actuelle ville de Naha, est maintenant employé pour indiquer l'île entière, voire tout le chapelet des Ryûkyû. Okinawa peut être divisée en deux parties : oki « pleine mer, large » et naha. L'élément naha, comme toponyme, se retrouve en dehors des Ryûkyû. Un des meilleurs dialectologues de ryûkyû, Dr. Tôsô Miyara, alias Masamori Miyanaga, fait venir naha de na-niha, na-ba « pêcherie » (Oeuvres complètes Miyara, Tokyo, Daïîchi Shobô, 1982, t. 17, p. 330). Sur na-, voir aussi le billet 11.  Ce qu'on peut dire au moins, c'est que le nom d'Okinawa semble n'avoir rien à voir avec le chinois.

     Par contre le nom de Ryûkyû (琉球 [lıəu gıəu], originellement sous la forme de 流求 [lıəu gıəu] fait son entrée flamboyante dans l'histoire, contrastant avec Okinawa, d'origine humble et obscure, dans le Sui Shio 隋書, histoire officielle (85 vol.) de la dynastie des Sui (589-618), compilé au début de la dynastie des T'ang (618-907). On ne savait cependant pas pour quel endroit était d'usage exact cette appellation. Il est communément admis maintenant qu'à l'époque des Sui, ce toponyme désignait Taiwan et qu'à la fin de la dynastie des Ming (1368-1644), le nom de Ryûkyû en est venu à indiquer, au lieu de Taiwan, les Ryûkyû actuelles. C'était le moment où le royaume Ryûkyû, sous l'occupation de fait des Satsuma de Kyûshû, entrait dans l'âge d'écriture (japonaise), sous les dehors d'un pays indépendant, ayant comme suzerain la Chine de la dynastie des Ming.
     Cette appellation d'origine chinoise est d'autant moins nippone qu'en ancien japonais, ces liquides (r ou l), bien qu'acceptées en position épenthétique (à l'intérieur de syllabe), ne pouvaient être admises à l'initiale.

     Quelles conclusions peut-on tirer de cette double étymologie toponymique ? Ne rendra-t-elle pas encore plus complexe l'énigme de la situation du chapelet d'îles Ryûkyû ? D'abord elle fait état de la condition géographique des îles parsemées entre la Chine (Taiwan comme une de ses régions) et l'archipel nippon (Kyûshû comme un bras impérial). Elle accuse également la double convoitise extérieure d'une part continentale et de l'autre de l'archipel impérial, à l'égard des îles, surtout lorsque ces dernières entrent dans une ère prospère en activités industrielles ou, surtout, commerciales.

     Longtemps ignorant en la matière, je fus frappé de stupeur lorsque j'appris que le « soleil » continuait dans cette langue à se dire [ti:da]. Ce seul mot [ti:da] 天道 (tendau en lecture chinoise, terme bouddhique d'introduction beaucoup plus tardive au Japon par rapport aux Ryûkyû, signifiant « voie céleste, soleil ») m'indique que les Ryûkyû étaient entrés en contact avec les Chinois bien avant l'introduction des kanji dans l'archipel japonais, c'est-à-dire, avant le IIIe siècle. D'autres mots chinois de ce genre étaient sans doute introduits au même moment et par la voie orale dans l'archipel nippon.

     L'arrivée en masse des kanji, dans l'archipel et non pas dans les îles, a créé une nouvelle donne. Ce n'était plus la langue orale mais la langue écrite avec ses composants kanji que de jeunes fonctionnaires et des bonzes étudiants envoyés dans la savante Chine apportaient dans leur pays. Les Ryûkyû, sans bénéficier de ces petits signes de civilisation, continuèrent leur bon vieux train de vie oral. C'est ainsi qu'ils gardèrent bien longtemps leur langue intacte, archaïque, le proto-japonais qu'ils risquaient d'altérer s'ils étaient munis de l'écriture (cf. billet 31). C'est par le hasard de l'absence d'écriture (qui dura au moins jusqu'au XVIe siècle) qu'ils ont pu continuer à pratiquer leur vieille langue fossile, que les gens du centre de l'archipel ont continué à transformer. 

     La situation linguistique des Ryûkyû fait parallèle avec leur situation politique et économique. Sachant bien ménager, en temps heureux, les voisins, ils devaient faire face aux encombrants Japonais et Chinois. Il s'y ajoute à présent des avions américains qui assourdissent les habitants jusqu'à les rendre malades avec leurs incessants atterrissages et décollages.    

  (A suivre pour le ryûkyû)

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