Philologie d'Orient et d'Occident (19)   Le 20/04/2010, Tokyo K.

La phonologie chinoise à l'époque du Shī-jīng 詩経 (1)

(ŋ = ng = g nasal ; ɦ = h glottal)

    Nous prenons ces notes un peu ardues pour bien comprendre l'essentiel de la phonologie du chinois ancien par l'intermédiaire duquel le japonais aurait pu avoir des liens avec d'autres langues du continent. Le chinois est un des plus beaux échantillons linguistiques qui aient été analysés avec une rigoureuse méthodologie.

    Il nous est arrivé, il y a quelques jours, de nous demander quel est l'élément -g qui termine plusieurs mots en chinois ancien tels que : ngıag  « poisson », ngag « moi, nous », ɦiag « associer, donner, moi », diag « superflu, moi », thiəg « début, commencer », diug « guérir », mag « cheval », muəg « prune, prunier », dəg « tabouret (de pied) ».
    Le dictionnaire du Dr Tôdô est bien clair dans les explications du problème. Dans les pages 1591 sqq., l'essentiel du système vocalique et consonantique de l'époque de K'ung-Tzu* est supposé par le Dr Tôdô de la façon suivante :

Voyelles primitives : il n'y a pas de phonèmes vocaliques comparables à ceux de l'indo-européen. Ce qu'il y a, ce sont des groupes vocaliques en prosodie. Il y a trente groupes distinctifs de rime. Un groupe est composé d'un élément proprement vocalique et d'un élément consonantique. Les voyelles de noyau sont au nombre de six : e, ə, a, ɔ, o, u.
    Le i antérieur (i) et le i central (ı ), souvent u et ü (i + u) aussi, n'étaient que des éléments d'intervention (semi-voyelles) : -iag était du même groupe que -ag ; -iog que -og, etc. Le yô-on 拗音 (avec intervention vocalique i) n'était pas un élément différenciateur de rime. Il n'aurait pas existé à la haute antiquité.
    Les finales consonantiques -k, -g, -ŋ (g nasal) peuvent se combiner avec les six voyelles. La combinaison donne des groupes vocaliques : -ek, -ag, - ɔŋ, etc. Cela fait dix-huit groupes moins un (-ɔŋ fait partie du même groupe que -ɔg). Les finales -r, -d (-t), -n peuvent seulement se combiner avec e, ə et a en -ar, -əd, -en, etc : neuf groupes. Les finales -p, -m ne se combinent qu'avec ə et a en -əp, -əm, -ap, -am. Tout cela fait donc trente groupes vocaliques (17+9+4).

    Nous ne savons encore si ces finales consonantiques disposaient d'une véritable fonction sémantique. Au début de l'écriture, le groupe -ag et le groupe -ak, par exemple, auraient été deux groupes prosodiquement différents. Cependant, pour pronom « tu ou vous », on disait indifféremment : niag ou niak. Ce qui fait qu'on est arrivé à employer, pour écrire en idéogramme le pronom de la deuxième personne, un nom de rivière 汝 niag et un nom-adjectif 若 niak « jeune », ou encore 女 nıag « femme » (p. 710), ces mots perçus comme phonétiquement les mêmes. On ne peut donc dire que les deux éléments finals -g et -k étaient au départ deux phonèmes bien distincts, porteurs de sens.

    Ces groupes vocaliques, même transfigurés différemment par ajouts d'autres vocaliques (semi-voyelles) ou palatalisés, n'étaient pas distinctifs, tant qu'ils étaient casés dans un même groupe prosodique. Par exemple, -uan, -ăn, -uăn, -aen, -uaen, -ian, -ıan (i central), -iuan, -ıuan, étaient regroupés dans une seule et même catégorie vocalique -an. Ils n'étaient que des variantes avec la même valeur prosodique.  (A suivre)

* Confucius, en vie au VIIe siècle avant J. C, passe pour le compilateur du 詩経, ou Thiœg-keng (Shī-jīng), Shi-kyô en japonais, le premier recueil poétique chinois, équivalent en date aux œuvres homériques.