Philologie d'Orient et d'Occident (18) Le 14/04/2010, Tokyo
L'intonation chinoise et ses fonctions - sì-shēng 四声 -
[ng = g nasal]
Comme base de discussion, je me permets de reprendre le tableau des mots qui servaient de pronoms de la première personne du singulier, déjà présenté dans le bulletin 8 (le 9/03/10).
(D'après le dictionnaire du Dr Tôdô)
D'un coup d'œil au tableau, on voit que les formes anciennes ont été beaucoup simplifiées au cours du temps. On sait que le chinois est une langue monosyllabique. Le mot chinois qui était lourdement chargé, lors de la naissance des caractères, de phonèmes divers s'est sensiblement allégé pour devenir une syllabe toute simple. Quel en a été le résultat ?
C'est une pléthore de quasi-homonymes qu'il fallait différencier pour empêcher que s'érige une tour de Babel homonymique. Il y a, dans le système chinois, une abondance des voyelles et des consonnes diversifiées par assourdissement, sonorisation, palatalisation (iau-iœm 拗音, voir le billet du 7/04) ou par les jeux de (dé)nasalisation (g / ng ; m / mb / b ; n / nd / dj, etc. ).
Les premiers organes de la diversification des homonymes étaient évidemment les idéogrammes eux-mêmes. Les kanji sont d'ultimes moyens de la différenciation. Ce qui y travaille n'est pas l'ouïe (le son), mais la vue (l'image). Les deux kanji 余 « superflu » et 予 « confier, donner » participent au procès parfaitement identique en phonétique historique : diag → yio → iu → ü (yu). Ce qui les différencie, ce n'est pas le son mais l'image visuelle des mots. Mais comment faire si l'on n'a pas les kanji sous les yeux ou qu'on ne sache pas les lire, les interpréter ?
Le système d'intonation, sì-shēng 四声 (shi-sei en japonais) : « quatre voix », est aussi un moyen perfectionné de différencier plusieurs mots phonémiquement identiques. La première « voix » peut être plate (⎯) ; la seconde, ascendante (/) ; la troisième, basse (V) ; la quatrième, descendante (\). L'emploi de la première voix (intonation plate) est, de loin, des plus fréquents. Ce moyen de quatre « voix », simple comme système, est très efficace, faisant du chinois une langue dynamique et chantante.
J'ai dit dans le tout dernier billet du 13/04 que la qualité phonémique de ngio 魚 et de ngio 語 était la même. Mais ngio 魚 est de la voix plate tandis que ngio 語 est de la voix ascendante. La différence réside en effet dans l'intonation.
La différenciation par la « voix » peut même s'accomplir dans le même mot : yio 予 est de la voix plate, quand il signifie « moi ». C'est qu'il a hérité du sens « moi » de yio 余 (de la voix plate) qui avait emprunté, par ressemblance phonique, le sens pronominal à l'authentique pronom personnel ngo 吾 (de la voix plate). D'autre part, lorsqu'il signifie « confier, donner », il est prononcé de la voix ascendante (c'est sans doute sa voix propre).
Qu'en est-il du japonais ? On aura bientôt l'occasion d'en parler, et même plusieurs occasions.